Sites & Monuments n° 223 - 2016

Revue 223 - Année 2016

20,00 EUR

Sommaire

  • Éditorial
    Alexandre Gady, président
  • Loi patrimoine : quel bilan pour un palimpseste ?
    Julien Lacaze, vice-président
  • Isolation thermique par l’extérieur : deux ans de combats, de la loi au décret
    Julien Lacaze, vice-président
  • L’archange doré, l’omelette et le tramway du mont
    Pierre Bénard, rédacteur en chef
  • Éoliennes, paysages et patrimoine
    Francis Monamy, avocat au barreau de Paris
  • Le littoral français à l’épreuve de l’éolien en mer
    Jean de La Motte de Broons, administrateur et responsable du groupe éolien offshore
  • Alerte sur nos forêts
    André Stéphane, membre de l’association SOS Forêt Cévennes
  • Carpentras : le Castellas perd ses oiseaux
    Christian Renaud
  • Le domaine de Meudon : espoirs et menaces
    Michel Jantzen, administrateur
  • Splendeurs et misères du domaine national de Saint-Cloud
    Sophie Michaud, correspondante pour Saint-Cloud
  • Le Champ-de-Mars à Paris... friche urbaine !
    Bernard Seydoux, Secrétaire général des Amis du Champ-de-Mars
  • Concours pour la préservation du patrimoine

Le prix "allées d’arbres" 2016
Chantal Pradines, rapporteur du jury
Le prix "second oeuvre" 2016
Michel Jantzen, administrateur

  • Le renouveau de l’imprimerie nationale
    Robert Werner, journaliste et écrivain, correspondant de l’Institut, rédacteur en chef
  • Un providentiel musée des monuments antiques
    Robert Werner, journaliste et écrivain, correspondant de l’Institut, rédacteur en chef
  • Après le déluge au musée Girodet : un rameau d’olivier
    Sidonie Lemeux-Fraitot, chargée des collections au musée Girodet de Montargis
  • La chapelle Saint-Libert à Tours : une mise en valeur exemplaire
    Martine Bonnin, déléguée pour l’Indre-et-Loire et membre de la Société archéologique de Touraine
    Pierre Hamblain et Jean-Michel Gorry, membres de la Société archéologique de Touraine
  • La renaissance du château de Rosny-sur-Seine
    Marie-Françoise Desmichels, vice-présidente de l’Association de mise en valeur
    du patrimoine historique de Rosny
  • Le salon des Bertin de Vaux : un ensemble menacé de dispersion
    Patrice Darras, correspondant de Sites & Monuments
  • Les églises des hôpitaux de Paris
    Jean-Louis Hannebert, architecte des Bâtiments de France (h)
  • La société pour la protection des paysages de France ("SPPF") et Paris
    Su-Lian Neville, historienne de l’art
  • "Ainsi que de ta vie il y va de ta gloire"
    Pierre Bénard, rédacteur en chef
  • Notes de Lecture
    Pierre Bénard, rédacteur en chef

Editorial d’Alexandre Gady, Président de Sites & Monuments

PILE OU FACE

Fidèle à ses missions depuis cent-quinze ans, la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France, adoptant désormais comme nom d’usage le titre de sa revue, « Sites & Monuments », a accompli en 2016 un travail intense. Celui-ci a concerné aussi bien son organisation que ses actions, toujours plus nombreuses, et dont rend compte ce nouveau numéro de notre revue.

De la politique
L’action de notre association s’est d’abord placée durant toute l’année sur le terrain politique, au sens le plus noble de ce vieux mot. En premier lieu pour que la loi dite Patrimoine soit sensiblement améliorée – le texte d’origine, daté de juin 2016, en avait bien besoin. Grâce à un intense lobbying parlementaire, nous avons connu de grands succès, que détaille ici Julien Lacaze, mais aussi un échec majeur : la loi ignore en effet l’éolien, pourtant le problème majeur de ces dernières années en matière de paysages et de vues ! Les lobbys industriels, grossièrement cachés derrière le masque écologique, auront été plus forts une fois encore. Votée le 7 juillet dernier, la loi recevra ses décrets d’application avant la fin de l’année, décrets au sujet desquels nous serons évidemment consultés. Un autre combat ardent aura été celui qui a trait à la loi dite de Transition énergétique, portée par le ministère de l’Écologie : le décret d’application sur l’isolation par l’extérieur, paru en mai dernier, est tellement scandaleux que nous avons dû, rejoints par quatre autres associations nationales, former un recours, que la presse a fortement relayé. Dans ce dossier, la raison devrait finalement l’emporter, mais que de temps et d’énergie auront été perdus, quand on aurait pu écouter les associations de citoyens, qui se battent pour le bien commun sans arrière-pensée financière ! Nos actions, avec d’autres initiatives venues de la société civile, ont donc permis d’éviter le pire et de donner à ces textes, qui auront évidemment une portée nationale, une meilleure conformité avec l’intérêt général.

Enfin, toujours en fait de politique, la campagne présidentielle de 2017 approchant, il nous faut reprendre notre bâton de pèlerin pour informer, puis convaincre, les candidats et leurs équipes que le patrimoine est beaucoup plus important qu’ils ne l’imaginent. Soleil noir de la vie démocratique française, cette élection-spectacle est trop souvent l’occasion d’une débauche de promesses plus ou moins crédibles, d’idées plus ou moins pertinentes, de rodomontades plus ou moins grotesques enfin, que la réalité se charge ensuite de ramener à leur juste valeur. Pour les citoyens soucieux de voir la France rester digne d’elle-même, c’est parfois un moment difficile. C’est pourquoi, avec nos partenaires du « G-8 » et nos amis de la Fondation du Patrimoine, nous avons travaillé à un Livre blanc du Patrimoine, qui paraît à l’occasion du Salon du Patrimoine 2016 ; destiné à faire réfléchir sur la situation dm patrimoine monumental et paysager dans une perspective longue, il se fonde sur une analyse équilibrée et avance des propositions réalistes.

Du respect de la loi
L’un des principaux combats de notre association, chacun le sait, est celui qui vise à faire respecter les lois et règles de protection, y compris par les puissants du moment. C’était le sens de notre action contre une partie des travaux du groupe LVMH rue de Rivoli, action présentée d’une manière fallacieuse par les médias qui ont cru (ou fait croire ?) à un combat contre l’architecture moderne, alors qu’il s’agissait de défendre la cohérence du paysage urbain. C’était également le sens de notre plainte contre l’établissement public du Musée Picasso, dont le programme de rénovation incluait une construction sans permis en plein secteur sauvegardé du Marais ! C’est aujourd’hui la raison de notre recours devant le Tribunal administratif et de notre plainte au pénal dans le dossier de la dénaturation des loges de l’Opéra Garnier, édifice insigne entièrement classé Monument historique, et dont les travaux destructeurs ont été conduits dans l’illégalité selon nous – et au jugement aussi du rapporteur public du Tribunal administratif, ainsi qu’il apparaît dans son avis rendu à la fin septembre.

Dans ce domaine, l’État n’est pas seul à s’affranchir des règles qu’il impose aux citoyens. Ainsi, l’attitude actuelle de la Mairie de Paris ne laisse pas d’être préoccupante. Dans plusieurs dossiers, qui commencent à constituer une longue série, elle semble vouloir passer en force, sans tenir compte des oppositions légitimes, ni même de l’avis des citoyens. On l’a ainsi vue soutenir sans faille Bernard Arnault dans l’affaire de la Samaritaine déjà évoquée, ainsi que la Fédération Française de Tennis dans son projet d’extension insensé dans le jardin des Serres d’Auteuil – après avoir admis en 2006 que ce jardin était intouchable... Ou encore faire voter une seconde fois le Conseil de Paris, qui avait repoussé la Tour Triangle, dans le but d’obtenir finalement son accord... On l’a vue traiter avec une touchante mansuétude l’exploitant de la Grande Roue, installée place de la Concorde, et dans le même temps provoquer le saccage du Champ-de-Mars, livré à la fan zone en juin 2016, et aujourd’hui dans un état lamentable ; à cette occasion, nous avons dénoncé les publicités illégales répandues sur le site classé, en contravention absolue avec la loi de 1930. On l’a encore vue passer en force dans le dossier complexe de la voie express Rive droite : malgré une enquête publique négative, fait d’une très grande rareté, la municipalité n’a pas changé d’avis et poursuit en ignorant superbement l’avis rendu par l’enquêteur public !

À tout cela s’ajoute enfin le nouveau statut de Paris, pour lequel la Mairie avait imaginé un article lui permettant, sur certaines questions, de se passer de l’avis du Conseil municipal au profit de celui d’une commission permanente à sa main. Cet article, à la rédaction si peu démocratique, n’avait aucune chance de passer, et le Conseil d’État l’a justement censuré ; mais il aura tout de même été déposé et défendu. Quelle inquiétante vision du gouvernement de la cité ! Il nous semble donc que la Mairie, qui devrait être exemplaire, soutient en réalité trop souvent des intérêts privés, voire est trop conciliante avec le « gros argent », comme on disait au XVIIesiècle. On pourrait ajouter encore d’autres cas qui concernent des pouvoirs locaux, comme à Tours, avec l’affaire de la donation Cligman, prétexte à rendre constructible le magnifique jardin du Musée des Beaux-Arts, site protégé et… inconstructible. Sous cet angle, il sera intéressant de voir à l’œuvre les nouveaux présidents de Région, devenus de puissants seigneurs dans une république décentralisée.

De la justice
Devant de tels abus, notre association est amenée à former des recours devant les tribunaux civils et administratifs. Depuis 2011, la liste de ses actions n’a cessé de s’allonger, avec une forte composante de dossiers relatifs aux éoliennes, évidemment. Cela n’a rien à voir avec un quelconque goût pour la chicane, encore moins avec le parti d’empêcher tout mouvement. Chaque recours fait l’objet d’un débat et d’une analyse pour en mesurer tout à la fois la portée interne et externe, si l’on peut dire. Nos actions, aussi nombreuses que diverses, peuvent connaître un sort différent, victoire ou défaite, mais nous avons souvent gain de cause. L’efficacité de ces démarches est évidente, mais dépend des dons et des legs qui accroissent nos finances… Nous construisons ainsi une expertise juridique, utile dans chaque dossier concerné, mais aussi de nature à poser les bases d’une réflexion plus large et prospective sur notre système de défense du patrimoine naturel et bâti.

Le droit est un bien précieux, et l’état de droit un cadre dont on doit mesurer sans cesse la majestueuse et fragile beauté. C’est pourquoi nous y sommes profondément attachés, c’est pourquoi l’injustice et les arrangements nous révoltent à ce point. C’est également pourquoi le fonctionnement actuel de certaines chambres spécialisées du Conseil d’État inquiète le citoyen épris de justice. Après avoir cassé toute la procédure dans l’affaire de la Samaritaine, dont le permis « Rivoli » avait été annulé en première instance, annulation confirmée en appel, les 2e et 7echambres réunies ont également cassé, le 3 octobre dernier, le référé que nous avions obtenu dans le dossier des Serres d’Auteuil. Cette triste décision a ouvert la voie à la relance des travaux dans le jardin, arrêtés depuis décembre 2015, et donc à la destruction des serres chaudes. Le même rapporteur, avec les mêmes arguments spécieux, a ainsi protégé une seconde fois de puissants intérêts, par une décision qui a la saveur amère d’une justice travestie. Les citoyens comprennent donc que, devant le Tribunal administratif et la Cour d’appel, on fait du droit… mais aussi beaucoup de politique.

Peut-on critiquer le Conseil d’État ? Grave question, qu’on ne doit pas écarter dans un État soumis aux lois et soucieux de se perfectionner. La noblesse d’une institution judiciaire réside d’abord dans la dignité de ses membres et dans l’équité de son travail. Inattendu prêtre de Thémis dans son temple de Paname, Michel Audiard fournit un élément de la réponse : « La justice, c’est comme la Sainte Vierge. Si on ne la voit pas de temps en temps, le doute s’installe  ».

⋅Directeur de la publication :
Alexandre Gady
⋅Rédacteurs en chef :
Pierre Bénard et Robert Werner
⋅Secrétaire d’édition :
Farideh Rava