Lettre à Nicolas Hulot sur l’hécatombe des arbres des routes en Corrèze

Route de Perret Bel Air à Soudeilles (Corrèze). Photo Jean Maurice Aubertie

Lettre à M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire

Le 26 mars 2018

Monsieur le Ministre,

Le département de la Corrèze, pressenti par votre Secrétaire d’Etat, Monsieur Sébastien Lecornu, pour expérimenter les Contrats de Transition Ecologique, est paradoxalement confronté, depuis le mois de septembre dernier, à une situation extrêmement préoccupante.

Par une décision de Monsieur Pascal Coste, Président du Conseil départemental de Corrèze, l’ensemble du territoire est concerné par une opération sans précédent d’élagage ou d’abattage de tous les arbres dont les branches surplombent l’emprise des routes, talus compris (voir ici). Les arguments avancés pour justifier ces actions sont la sécurité routière, la longévité des routes, la préservation des réseaux et le développement durable par la valorisation énergétique des produits d’abattage [1].

Le projet ambitieux « Corrèze 100 % fibre en 2021 », engagé en 2017 par le Conseil départemental, est un argument utilisé pour exécuter, dans l’urgence et la précipitation, une campagne d’abattage généralisée à tout le réseau routier départemental, qu’il soit concerné ou non par la fibre. Des pressions sont également exercées sur les maires pour une extension aux routes communales et aux chemins ruraux [2]. Au moment où votre ministère lance un appel à projet « Plan de paysage », il est à craindre que la Corrèze donne un exemple spectaculaire de ce qu’il ne faut pas faire !

Route de Perret Bel Air à Soudeilles. Photo Jean Maurice Aubertie
Route de Perret Bel Air à Soudeilles. Photo Jean Maurice Aubertie

Les services du Conseil départemental et son Président ont été questionnés sur l’influence de la couverture végétale sur la durabilité des chaussées (impact des « gouttes d’eau » tombant des arbres). Aucun d’eux n’est en mesure de fournir un document scientifique ou technique à ce propos. Le Président du Conseil départemental communique sur une augmentation attendue de 30 % de la durée de vie des revêtements si l’élagage est réalisé. Ce « calcul » n’a pour nous aucun fondement. L’argument du développement durable est également erroné puisque la biomasse issue de l’abattage le long des routes ne pourra, par hypothèse, être renouvelée.

En septembre 2017, 28 000 propriétaires ont reçu un courrier du Président du Conseil départemental demandant, sur un ton autoritaire, l’élagage des arbres privés empiétant sur le domaine public et menaçant les récalcitrants d’une exécution d’office des travaux à leurs frais (voir document joint). Beaucoup d’administrés, n’ayant aucune information sur le coût des travaux demandés, ont choisi d’abattre eux-mêmes leurs arbres, y compris de très beaux spécimens ou des arbres d’alignement, parfois même dans des sites classés. Profitant de la situation, certaines entreprises d’exploitation forestière ont proposé leurs services et pratiqué des coupes irraisonnées laissant les bords de route dans un état indigne.

Interpellé par les associations, le Président du Conseil départemental a diffusé un deuxième courrier en décembre, puis un troisième en mars 2018, montrant de nombreuses contradictions et incohérences, aussi bien dans la méthode d’élagage préconisée que dans la définition des emprises. Mais les menaces sont toujours d’actualité et les abattages se poursuivent massivement. Des maires s’affichent contre le projet, mais d’autres, allant au-delà des directives, vont jusqu’à ordonner des élagages et coupes en bordure de GR !

Route de Perret Bel Air à Soudeilles. Photo Jean Maurice Aubertie
Route de Perret Bel Air à Soudeilles. Photo Jean Maurice Aubertie

Au-delà de la pression financière imposée aux 28 000 riverains (pour ne parler que du réseau départemental), il est aisé d’imaginer les conséquences techniques, écologiques, paysagères, patrimoniales et touristiques de l’opération ; il nous est impossible de les détailler dans cette lettre. Un dossier très conséquent a été constitué, que nous tenons à votre disposition.

Face à la tournure des événements, seul un moratoire pourrait apaiser les esprits et permettre d’engager un travail dans la durée impliquant tous les acteurs concernés. Concernant le projet fibre - attendu pour les zones rurales - des études au cas par cas pourraient être envisagées, comme le font habituellement les gestionnaires de réseaux dans les autres départements. C’est ce qui a été demandé à M. le Président du Conseil départemental, mais celui-ci maintient malheureusement sa position.

Comme l’a très justement remarqué votre Secrétaire d’Etat, la Corrèze est un département où de nombreuses initiatives innovantes voient le jour, qui n’opposent pas ruralité et développement, mais utilisent au contraire la première comme un moteur du second. Ces habitants, très attachés à leur « Pays vert », ont toujours été favorables au progrès, mais pas à n’importe quel prix. Les décisions évoquées compromettent malheureusement cette dynamique et cet équilibre.

Nous nous permettons de vous inviter à venir sur place constater l’ampleur des atteintes portées aux arbres et aux paysages et vous incitons à rencontrer les représentants des collectifs et associations qui se mobilisent pour préserver ce qui peut encore l’être et à échanger avec les Conseillers départementaux.

En espérant retenir votre attention, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos respectueuses salutations.

 Les 24850 signataires de la pétition lancée par le collectif DEARLIM le 27 janvier 2018
 Le collectif AGIRR 
 Le collectif DEARLIM
 Le collectif CRRAC 
 La Société Française d’Arboriculture
 L’association A.R.B.R.E.S
 Maisons Paysannes de la Corrèze, délégation de Maisons Paysannes de France
 Sites & Monuments (SPPEF)

Copie à Mmes et Mrs les députés de la commission Développement durable, à M. le Préfet de la Corrèze, à Mmes et Mrs les maires de Corrèze, aux médias.

Pièces jointes :
- Lettres du Président du Conseil Départemental de Corrèze à 28000 propriétaires ;
- Pétition créée le 27 janvier 2018 par le collectif DEARLIM avec ses 2800 commentaires ;
- Dossier technique de la Société Française d’Arboriculture ;
- Panorama de presse du 11 septembre 2017 au 24 mars 2018 ;
- Lettres de collectifs ou de particuliers envoyées à M. le Président du CD et autres instances ;
- Intervention de la cellule juridique de Corrèze Environnement le 20 mars 2018 ;
- Guide méthodologique de l’élagage ;
- Document du CD à l’attention des maires.

[1] Corrèze, le magazine de votre département – n° 136 - Octobre 2017
[2] Elagage, Guide méthodologique du Conseil départemental www.correze.fr/fileadmin/user_upload/
Amenagement_numerique/Nouvelles_technologies/Elagage_Fiches_THD.pdf

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