Éolien : dégradation annoncée des paysages de la vallée des peintres autour de Crozant (Creuse)

Ruines de la forteresse de Crozant au confluent de la Creuse et de la Sédelle. Photo Liliane Chevallier

La société "IEL Exploitation 7 », SARL n’employant aucun salarié, détenue à 100% par IEL Exploitation, elle-même détenue par la société mère IEL implantée à Saint-Brieuc, a réalisé les études nécessaires à l’implantation de 4 aérogénérateurs industriels de 150 m de hauteur en bout de pales : 2 sur la commune de La Chapelle-Baloue et 2 sur la commune de Saint-Sébastien, dans le nord-ouest du département de la Creuse, à une altitude de 340 m, c’est-à-dire au point le plus élevé de la rive ouest de la vallée de la Sédelle, dans un secteur bocager, proche de la zone Natura 2000 des vallées de la Sédelle et de la Creuse.

Ruines de la forteresse de Crozant au confluent de la Creuse et de la Sédelle en hiver. Photo Liliane Chevallier

Monsieur Philippe Chopin, préfet de la Creuse, a signé le 14 janvier 2016 l’autorisation de construire et d’exploiter ces 4 machines, malgré une enquête publique négative.

L’association ERICA, association de sauvegarde du patrimoine de Crozant, qui existe depuis 1993, riche de 92 membres, rejointe par des particuliers habitant à proximité des sites prévus, et aidée par Sites & Monuments, a naturellement demandé l’annulation de cette décision auprès du tribunal administratif de Limoges.

Ruines de la forteresse de Crozant au confluent de la Creuse et de la Sédelle en automne. Photo Liliane Chevallier

Pour les requérants, des aérogénérateurs industriels de 150 m de haut ne peuvent s’intégrer au remarquable paysage bocager local. A titre de comparaison, les arbres de haute futaie font au maximum 35 m de hauteur, la plupart des arbres locaux ne mesurant qu’entre 15 et 20 m… Les pylônes électriques les plus hauts mesurent 35 m et n’embellissent pas le paysage. Que dire de machines qui feront plus de 4 fois leur hauteur ? De plus, un aérogénérateur est une structure en mouvement, qui attire le regard au détriment des paysages. C’est la fin de certains grands sites, dont celui de la vallée de la Sédelle, peu anthropisé à Crozant.

Claude Monet (1840-1926), Soleil sur la Petite Creuse, 1889

L’association s’investit par ailleurs pour la mise en valeur de ces paysages : elle a ainsi restauré et entretient depuis 2002 une lande de bruyères de 1,4 hectare située sur le chemin des peintres à Crozant, entre le Pont Charraud et le haut du bourg, pour laquelle elle a signé un bail emphytéotique et 2 contrats successifs « Natura 2000 ». En dehors de sa fonction de conservation d’espèces botaniques et faunistiques, la lande donnait sa touche rose aux toiles de nos peintres impressionnistes (présence de bruyères).

A Crozant, il ne s’agit pas d’un simple paysage bocager. Les artistes sont venus pour un paysage exceptionnel, qui attire toujours de nombreux touristes et randonneurs et suscite l’attachement de ses habitants.

Paul Madeline (1863-1920), La Creuse à Crozant, Musée de Gueret

La commune est traversée par les vallées de la Sédelle et de la Grande Creuse, qui sont qualifiées de « vallée des peintres » et classées au titre des sites depuis 1995. Crozant est le cœur de cette vallée, qui s’étend de Gargilesse au Bourg d’Hem, sur 2 départements. D’innombrables peintres, à la suite de Monet ou de Guillaumin, comme Paul Madeline ou Eugène Alluaud ont immortalisé ces paysages.

Pour ERICA, la présence d’aérogénérateurs industriels dans la vallée de la Sédelle, à proximité de celle de la Creuse, est incompatible avec l’image et le rayonnement international de la « vallée des peintres ».

Carte dressée par le promoteur montrant la situation des 4 éoliennes entre les bourgs de Crozant, La Chapelle-Baloue, Bazelat et Saint-Sébastien

La promotion de ce territoire a impliqué des investissements financiers publics importants, y compris européens, que rappelle un mail de Laurence Fidry, chargée de mission « Vallée des peintres » au conseil départemental de la Creuse :

« Ce travail commun, mené depuis 30 ans, réactivé depuis 2005, et renforcé depuis 2010 autour de la Vallée, est à l’origine d’une reconnaissance tangible et mesurable.
Les 21 collectivités du Comité de Pilotage ont signé une Charte de Coopération, dont les deux Régions ;
 Le Ministère de la Culture, verse, depuis 2012, 35 000 € par an pour la Vallée ;
 L’Europe verse, depuis 2012, environ 30 000 € par an pour la Vallée ;
 Le Ministère du Tourisme a positionné la Vallée comme destinations d’excellence ;
 La Normandie prépare un Itinéraire Européen impressionniste incluant la Vallée ;
 Le Château d’Auvers-sur-Oise, près de Paris, est partenaire de la Vallée ;
 Axel Kahn a rédigé la préface du catalogue de l’exposition 2016 ;
 Le Guide Michelin étudie l’inscription de la Vallée dans la nouvelle édition. »

Photomontage montrant les ruines de la forteresse de Crozant (à droite) sur fond d’éoliennes depuis un sentier de randonnée. Source : association ERICA

Il faut, en outre, rappeler que la vallée de la Creuse, côté Indre, est classée au titre des sites depuis 1991. Côté Creuse, les vallées de la Creuse et de la Sédelle bénéficient de ce même régime depuis 1995. Les vallées de la Creuse et de la Sédelle sont par ailleurs des zones d’intérêt écologique, faunistique et floristique depuis 1989, ainsi que des sites d’importance communautaire Natura 2000 depuis 1998 (réseau européen des zones préservées)...

La communauté de communes du Pays Dunois a investi dans le bourg de Crozant - avec l’aide des fonds européens LEADER, de la région Limousin et du département - plus de 1,45 million d’euro pour la rénovation de l’hôtel Lépinat, hôtel des peintres, et sa transformation en centre de conservation du patrimoine. Les privés ont aussi été sollicités par le biais de la Fondation du Patrimoine : ERICA a fait un don, ainsi que plusieurs de ses membres et aide à trouver des contenus pour les expositions. Par ailleurs, la cristallisation des ruines de la forteresse qui se poursuit a également nécessité des sommes très importantes de la part des mêmes partenaires.

ERICA ne peut comprendre que l’on mette en péril le succès de ces actions en érigeant des structures industrielles de 150 m de hauteur qui, de l’aveu même des promoteurs, vont avoir un impact sur les vallées, tant dans le département de la Creuse que dans celui de l’Indre.

Résumé étude d’impact par le promoteur éolien "IEL Exploitation 7"

Du point de vue d’ERICA, le fait que les promoteurs avouent que « le projet aura un impact MOYEN sur les sites de la ‘Vallée de la Creuse, de la Petite Creuse et de la Sédelle’  » n’est pas tolérable. "IEL Exploitation 7" admet même qu’il s’agit de sites « emblématiques » ! L’impact sera, en tous les cas, CERTAIN. 

A noter que, sur le tableau produit par le promoteur, le chemin des peintres à Crozant, qui est pourtant le plus fréquenté de toute la vallée, n’existe pas… Rappelons, encore une fois, qu’en matière de Vallée des Peintres, notre patrimoine n’est pas seulement constitué de monuments, mais aussi et surtout de paysages.

Le tourisme, activité économique très importante pour la région, risque d’être fortement touché et les résidences secondaires beaucoup moins attractives pour des citadins en quête de calme et de nature.

Photomontage montrant le bourg (à gauche) et les ruines de la forteresse de Crozant (à droite) sur fond d’éoliennes depuis la route de Saint-Jallet. Source : association ERICA

Les impacts concernant la faune ne sont pas négligeables : mortalité augmentée des oiseaux et des chiroptères par collision avec les pales des aérogénérateurs. On va aussi supprimer des haies pour transporter les engins. Il est prévu d’en replanter, mais encore faudrait-il que les espèces locales de haut jet aient le temps de repousser, ce qui peut prendre plusieurs années, voir plusieurs dizaines d’années, en espérant que de nouveaux transports nécessités par la maintenance, ou un changement d’aérogénérateur en fin de vie, n’obligent pas à les couper à nouveau…

Il faudra sans doute aussi recommander aux oiseaux de rester en zone Natura 2000 et de ne pas aller s’aventurer sur les hauteurs de la vallée de la Sédelle ! IEL ne mentionne aucun vol d’oiseau migrateur. Pourtant, les grues traversant à basse altitude le ciel de Crozant, de la Chapelle-Baloue et de Saint-Sébastien sont nombreuses lors des migrations…

Photomontage montrant le château des Places sur fond d’éoliennes. Source : association ERICA

IEL évoque la modulation des éclairages pour réduire leur "pouvoir attractif" : l’éclairage a donc un pouvoir attractif… Songez aux malheureux habitants à proximité, condamnés à dormir fenêtres fermées et rideaux tirés pour réduire le bruit et les flashs lumineux, même l’été, en cas de canicule.

Notre association lutte ainsi pied à pied, avec le soutien de Sites & Monuments, pour défendre l’environnement de Crozant et le bonheur d’y vivre, en souhaitant que d’autres sources d’énergies renouvelables soient préférées à ces engins destructeurs, coûteux et très peu efficaces…

Liliane Chevallier, présidente de d’ERICA, association adhérente de Sites & Monuments