Annulation, à l’instigation de Sites & Monuments, de l’arrêté de démolition de la maison de Saint-John Perse à Pointe-à-Pitre

Maison natale de Saint-John Perse (1887-1975). Façade ISMH en 1995 sur la rue Achille-René Boisneuf. Photo de 2007
Maison natale de Saint-John Perse (1887-1975). Façade ISMH en 1995 sur la rue Achille-René Boisneuf. Photo de 2012

Qui aurait imaginé qu’une commune labellisée Ville d’art et d’histoire prenne un arrêté municipal de démolition afin d’autoriser, illégalement, la destruction d’un monument historique  ?

Voilà chose faite, à Pointe-à-Pitre ! A 8000 kilomètres de l’administration centrale, tout semble en effet possible. Oui, absolument tout, et surtout l’impensable !

L’infâmie s’est produite le 23 septembre 2017 : la maison natale de l’écrivain Alexis Léger dit Saint-John Perse (1887-1975), édifiée avant 1863 et inscrite au titre des monuments historiques en 1995 (voir ici), a été détruite à coups de mini-pelle et bulldozer (lire notre précédent article)… sans l’autorisation du ministère de la Culture, autorité compétente en matière de monuments historiques.

Démolition de la maison natale de Saint-John Perse (1887-1975), ISMH en 1995, le 23 septembre 2017
Démolition de la maison natale de Saint-John Perse (1887-1975), ISMH en 1995, le 23 septembre 2017

Bordant l’une des plus importantes voies du plan en damier de Pointe-à-Pitre, la bâtisse était un archétype de l’architecture domestique pointoise du dernier tiers du XIXe siècle. Elle était devenue la propriété de la communauté d’agglomération Cap Excellence depuis 2014.

L’immeuble, endommagé par le passage du cyclone Hugo en 1989, avait été réparé dans les années 1990, puis sécurisé en 2010, grâce à une campagne d’étaiement cofinancée par l’Etat.

Il convenait subséquemment de lui attribuer une fonction et d’y mener un projet de restauration, afin que cette maison, ayant abrité l’enfance du prix Nobel de littérature de 1960, ne disparaisse pas.

Site de la maison de Saint-John Perse en 2019

2017, atteinte à la mémoire collective de la Guadeloupe !

L’association Sites & Monuments a défendu la cause et déposé une requête en excès de pouvoir auprès du Tribunal Administratif de Basse-Terre, le 22 novembre 2017.

Une pétition, lancée par l’association des Architectes du Patrimoine (voir ici), avait recueilli, deux mois après l’ignominie, 2724 signatures, manifestant l’indignation des acteurs du patrimoine et de tous les passionnés de littérature et de poésie, d’ici et d’ailleurs (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, France hexagonale, La Corse, Tahiti, Mexique, Maroc, Etats-Unis (Alabama, Maryland, Ohio, Nouveau Mexique, Floride, New Jersey, New York, Illinois, Massachusett, Californie), Sénégal, Canada (Ottawa, Montréal), Suisse, Chypre, Portugal, Allemagne, Liban, Londres, Belgique, Afrique du Sud, Turquie, Irlande, Luxembourg, Nouvelle-Calédonie, Roumanie, Suède, Italie, Polynésie française, Danemark, Thaïlande, Singapour, Australie, Grèce, Norvège, Russie, Espagne, Argentine, Nouvelle Zélande, Brésil, Monaco, République dominicaine, Côte d’Ivoire, Royaume-Uni, Bénin, Vietnam, etc.)

Cette démolition préjudiciable à la population guadeloupéenne est également une insulte aux autorités ayant accordé le label Ville d’Art et d’Histoire et n’en demeure pas moins une infraction.

Une annulation posthume

Le jugement, lu en audience publique le 27 septembre 2018, a conduit à l’annulation de l’arrêté municipal de démolition du 22 septembre 2017 et au versement par la Ville de Pointe-à-Pitre à l’association Sites & Monuments de la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

De nombreuses interrogations subsistent cependant, plusieurs mois après la démolition de ce monument historique opérée dans un contexte illégal :

 Comment et pourquoi l’édilité a-t-elle pu ignorer les lois relatives à la conservation des monuments historiques, qui plus est au sein d’une ville labellisée "d’Art et d’Histoire" depuis 2003, qui conservait 17 monuments historiques (16 désormais) ?
 Quelle est la position de la préfecture de la Guadeloupe et du ministère de la Culture face à cette démolition symboliquement sanctionnée par le tribunal et quels outils seront mis en place pour prévenir les éventuelles destructions en gestation ?
 Quelles mesures ont été mises en place pour la sauvegarde des 2 immeubles adjacents à la dent creuse ? En effet, les 2 murs mitoyens en moellons de pierres calcaires de la maison détruite, restés en place, n’ont pas été étayés et leur déchargement représente, à terme, une menace pour les immeubles adjacents et leurs occupants.
 Dans le même registre, quel sera le sort réservé à l’ancien cinéma La Renaissance inauguré le 22 mars 1930, inscrit au titre des monuments historiques en 2009 (voir ici), « étayé » depuis février 2017 et cerné par un périmètre de sécurité augmenté en 2018 ?

Façades étayées de l’ancien cinéma théâtre "La Renaissance", ISMH en 2009. Photo de 2019

 Le patrimoine de Pointe-à-Pitre est-il fatalement voué à un effacement multiforme : abandons manifestes, démolitions illégales, incendies opérés dans une indifférence quasi-générale ? Qui s’en préoccupe réellement ?
 Quelle est la politique patrimoniale opérationnelle menée par la ville de Pointe-à-Pitre depuis sa labellisation comme Ville d’Art et d’Histoire ?
 Quelles est la feuille de route de la "Communauté d’Agglomération Cap Excellence" en matière de conservation du patrimoine architectural ? A souhaiter que le Cap fixé dans le domaine patrimonial, vise effectivement l’Excellence comme l’indique cette appellation aussi pompeuse que prometteuse !

En arrière-plan de ces questionnements, sont les prémices du projet Karukera Bay, porté par le Grand Port Caraïbes, qui vise l’aménagement d’un terminal de croisières long de 345 mètres, d’un complexe touristique ainsi que le réaménagement du front de mer de Pointe-à-Pitre en une promenade et une marina. Ce projet prévoit tout de même de valoriser les monuments historiques, mais seulement ceux situés à une très courte distance des terminaux de croisière. Il inquiète en ce que, doté de 200 millions d’euros, il pourrait attirer des spéculateurs à l’affût de dents creuses en devenir...

Les mesures visant à faciliter les démolitions de bâtiments en péril dans les Sites patrimoniaux remarquables (SPR) sans avis conforme de l’Architecte des bâtiments de France inquiètent également. Pourtant, les monuments historiques sont bien exclus du périmètre de la loi ELAN... Mais le spectacle, désormais légal, de destructions d’édifices patrimoniaux en France métropolitaine (Perpignan, Marseille...) risque malheureusement de justifier tous les vandalismes.

Face à ces menaces sur la mémoire urbaine et sociale, toute action préventive est souhaitable, dans la volonté d’éviter d’autres cas « Saint John Perse ».

Nathalie Ruffin, architecte du patrimoine

Camille de Mouzon, architecte du patrimoine, déléguée de Sites & Monuments pour les Antilles

Jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 27 septembre 2018