L’usine Coffy, symbole de l’âge des manufactures (Saint-Paul-en-Jarez, Loire)

Vue aérienne des bâtiments à la fin du XXe siècle © Halitim-Dubois Nadine. Région Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel

1. Un patrimoine de l’histoire industrielle de la Loire

L’édifice en question est un complexe industriel construit entre 1854 et 1855 dans la Loire à Saint-Paul-en-Jarez. Son nom est celui de la famille propriétaire depuis 1921. Outre la qualité de sa construction, il comporte encore différents éléments très représentatifs de l’histoire socio-économique du Pays du Gier et de la vallée du Dorlay aux portes du Pilat.

Cerdon, dessin aquarellé des bâtiments de l’usine Bourrin-Fournel depuis la route de Saint-Paul côté sud, 1911 © Inventaire Général d’Auvergne-Rhône-Alpes.

Cet espace géographique est marqué depuis le XVIe siècle par l’essor du commerce de la soie lyonnaise, favorisé par François Ier. Il accueille en effet dès cette époque de nombreux « moulinages », dont les premiers sont créés par des Italiens. Il s’agit d’ateliers qui obéissent à une typologie architecturale spécifique, où l’on transforme la matière brute en fils plus résistants et élastiques, destinés ensuite à la teinture. Cette activité est d’abord attestée à Saint-Paul-en-Jarez le long de la rivière du Dorlay, utilisée comme force motrice pour alimenter le mouvement rotatif des machines. À la fin de la première moitié du XIXe siècle, ce secteur est encore dynamique et entreprend son industrialisation afin de faire face à la concurrence. C’est dans ce cadre qu’est construit le complexe aujourd’hui dénommé « Usine Coffy ».
Si cet édifice s’inscrit dans une longue tradition locale, il se démarque en adoptant pour la première fois dans ce territoire la force motrice de la vapeur. L’idée est d’affranchir l’activité des aléas relatifs au débit inégal des cours d’eau selon les saisons afin de garantir la production toute l’année. En outre, ainsi libéré de la contrainte d’une implantation en fond de vallée le long de la rivière du Dorlay, le site a pu être construit au bord d’une route principale, facilitant ainsi l’approvisionnement et l’écoulement de la production. La nouvelle usine témoigne de la diffusion progressive au milieu du siècle des avancées de la révolution industrielle qui transforme particulièrement la vallée du Gier voisine, riche en gisements de charbon [1].

2. Fondation de l’usine Bourrin, puis Fournel, puis Coffy

C’est d’ailleurs un ancien mineur, Jean-Marie Bourrin (1815-1871), qui fonde le nouvel établissement après avoir fait fortune dans l’activité du moulinage dans les années 1840 [2]. Il s’associe avec les maisons lyonnaises Picollet et Degabuel en mars 1854 [3]. Il acquiert en parallèle différentes parcelles à Saint-Paul-en-Jarez entre 1847 et 1853, les terres de la Joanna, de la Plagne et Berthelot, pour construire son propre atelier bientôt surnommé « l’usine à vapeur » [4]. Celui-ci est installé au lieu-dit « la Croisette » [5], du nom d’un monument religieux érigé au XVIIe siècle au croisement des routes de Farnay et de Saint-Paul-en-Jarez. Le chantier est lancé en juillet 1854, tandis que la machine à vapeur est mise en place en septembre 1855 pour actionner les machines qui préparent la soie destinée aux canuts de Lyon. Jean-Marie Bourrin emploie à cette époque plusieurs dizaines de personnes. Son parcours illustre ainsi l’ascension sociale d’un entrepreneur, né dans une famille de paysans pauvres au début du XIXe siècle, d’abord employé comme mineur, avant de s’établir à son compte dans l’activité du moulinage de la soie [6].
Sa petite fille, Jeanne-Marie Bourrin (1870-1928), épouse François Fournel (1865- 1915) qui reprend l’usine en 1891 et lui donne son nom. L’activité originelle cesse cependant en raison de la crise des soieries lyonnaises, d’abord à cause de l’épidémie de pébrine qui sévit dans les élevages de vers à soie et affaiblit le secteur, puis en conséquence de la concurrence internationale toujours plus forte et de l’utilisation massive de nouveaux types de tissus. Les bâtiments sont alors reconvertis en usine de tressages et lacets comme de nombreux autres ateliers, tandis que la ville toute proche de Saint-Chamond s’affirme comme premier centre français pour cette activité [7].
La fille de François Fournel et de Jeanne-Marie Bourrin, Jeanne Fournel (1895-1957), épouse Louis Coffy (1895-1981) en 1921. Leur descendance est encore propriétaire de l’édifice loué jusqu’en 2023 à l’entreprise Manutex, qui a racheté la société Coffy en 1972. Le grand-père de Louis Coffy, Jean-Baptiste Coffy (1825-1898) avait quant à lui créé la première usine de tresses et lacets de Saint-Paul-en-Jarez pour remplacer l’ancien atelier de moulinage Prat au lieu-dit les Garennes, acquis en 1850. Les membres de ces différentes familles (Bourrin, Fournel, Coffy) ont ainsi activement participé à l’essor industriel et à l’évolution sociétale du village.

3. Le complexe architectural

L’ensemble édifié à partir de 1854 par Jean-Marie Bourrin reprend en partie le modèle des ateliers et usines établis à cette époque sur les rives du Dorlay ou du Gier, dont les dispositions devaient assurer leur complète autonomie sociale et technique.

Façade principale de l’Usine Bourrin-Fournel depuis la route vers 1900
© Photographie du chanoine Louis Bourrin, oncle de Jeanne Fournel

Il associe dans ce cadre un espace de production et plusieurs lieux de vie. Ceux-ci comportent au départ deux résidences patronales et des logements destinés aux ouvriers. Le site était aussi doté de différents équipements tels que des écuries, une grange, un lavoir, auxquels s’ajoutaient des potagers et un verger. Différentes caves ont aussi été aménagées pour la conservation des denrées et le stockage du charbon. Un garage est également ajouté dans les années 1900 pour permettre l’entretien des véhicules sur place.

Le rez-de-chaussée du corps central et les dispositifs pour l’usage de la vapeur

Le complexe se compose encore principalement aujourd’hui d’un corps central, en premier lieu consacré à la production (jusqu’en juin 2023). Ce bâtiment d’usine de plan allongé (55 mètres sur 11 environ), est un témoignage non seulement remarquable, mais aussi rare par sa bonne conservation, de la typologie spécifique des ateliers de moulinage, un héritage d’une longue tradition d’usine à étages.

Bâtiment de l’usine depuis côté sud

Ces derniers, qui se sont multipliés dans la région avec le développement des soieries lyonnaises à partir du XVIe siècle, ont vu leur organisation perfectionnée tout au long de la période moderne, avant de s’adapter aux nouveautés techniques introduites à l’occasion de la révolution industrielle. Parfois construit sur voûte et plus souvent sur plancher, comme le complexe en question, ce type d’édifice disposé en longueur permettait d’exploiter au rez-de-chaussée des machines en lignes, actionnées par une même force motrice.
Les bâtiments dont il s’agit illustrent ainsi le développement, mais aussi la permanence, de cette forme architecturale dans la Loire, plus particulièrement dans la vallée du Dorlay où l’activité de moulinage s’est très tôt déployée. Elle a particulièrement contribué à son essor, grâce à la mise en place d’un important réseau de production.
Lors de la construction de l’édifice, la force motrice utilisée était fournie par une machine à vapeur, remplaçant l’habituelle roue hydraulique [8].
Ce choix est aujourd’hui encore bien visible au rez-de-chaussée de ce corps central, correspondant à l’atelier de production, éclairé par de grandes fenêtres. Les machines y étaient alignées, d’abord pour le moulinage de la soie, puis pour l’activité de tresses et lacets qui lui a succédé à la fin du XIXe siècle.

Intérieur de l’atelier au rez-de-chaussée
Intérieur de l’atelier au rez-de-chaussée

Celles-ci fonctionnaient grâce à l’arbre de transmission du mouvement moteur, actionné par la machine à vapeur primitivement installée dans un local spécialement établi pour l’accueillir. Ce dernier existe toujours et demeure associé à une cheminée, ainsi qu’à un réservoir qui servait à l’alimentation en eau de la chaudière.

Ancien réduit machine à vapeur
Ouverture pour l’arbre de transmission du moteur

La cheminée en elle-même est un élément éminemment intéressant au regard notamment de son caractère identitaire dans le territoire en question mais aussi de par sa rareté.

Cheminée côté nord-ouest

Haute de vingt-cinq mètres, elle y est l’une des dernières de type « première génération », soit de section carrée. La plupart ont en effet été remplacées lors de la généralisation des cheminées circulaires, plus résistantes, ou détruites en raison de leur inutilité après l’abandon de la vapeur.

Croix de protection sur l’une des faces de la cheminée

Elle a à ce titre plusieurs fois retenu l’attention de spécialistes [9], d’autant plus depuis la démolition de la plus célèbre cheminée du puits Combélibert, en dépit de l’inscription de cette dernière au moment du classement du chevalement en bois qui l’accompagnait. Datant des années 1840, elle présentait des dispositions très proches de la cheminée de Saint-Paul-en-Jarez, telles que la modénature de son couronnement ou la présence de croix de protection sur certaines de ses faces.
Celles-ci sont d’ailleurs un témoignage de l’importance de la dimension religieuse dans l’histoire industrielle de la région, où la production était placée sous la protection divine, comme le souligne également la croix sur le fronton principal du bâtiment de l’ancienne usine Coffy.
Les mémoires de Jean-Marie Bourrin évoquent d’ailleurs la bénédiction de l’usine avant sa mise en route, tandis que la présence de statues de la Vierge, tant au niveau de l’entrée d’honneur, que dans les ateliers, rappelle l’importance du patronage marial dans la région, dont les célébrations rythmaient la vie des ouvrières.

L’étage du corps central

Intérieur de l’entrepôt avec l’espace de logement ouvrier second étage

L’étage du bâtiment d’usine, aux fenêtres plus petites que celles de l’atelier du rez-de-chaussée, accueillait à l’origine une partie de l’habitat ouvrier, ainsi que le rappelle sa subdivision partielle en pièces à vivre. Il servait également d’espace de stockage, et ce jusqu’en 2023.
Une trappe, subsistant encore aujourd’hui, permettait le transit rapide des marchandises depuis le rez-de-chaussée, qui n’était à l’origine pas directement relié à ce second niveau. Celui-ci était alors principalement desservi par un escalier extérieur depuis la cour intérieure, dont l’accès est conservé. Cela permettait une communication directe et autonome avec la maison des ouvrières qui se trouvait derrière les bâtiments principaux.
Cet édifice dit la « Mère Loi », aujourd’hui partiellement disparu, accueillait une cuisine commune au rez-de-chaussée et des dortoirs dans les étages. Ce système d’hébergement de la main d’œuvre le plus souvent féminine, caractéristique des « usines pensionnats » [10] permettait de surveiller la production jour et nuit. Il a perduré jusqu’à l’électrification du complexe dans les années 1930.

Les pavillons d’habitation de direction

La partie centrale du complexe est toujours encadrée de deux pavillons d’habitation de forme presque carrée (13 mètres sur 10 mètres environ), qui comprennent trois étages au- dessus du rez-de-chaussée, dont un sous-comble.

Pavillon d’habitation de droite vue depuis le jardin côté sud

Ils ont été prévus par le fondateur de l’usine afin d’assurer la pérennité de son entreprise. La présence de deux corps de logis devait en effet permettre à deux générations de coexister sur le site, de manière indépendante, afin de garantir la transmission du patrimoine familial. L’idée était aussi de maintenir une proximité entre le patronat et la main d’œuvre.

Dispositions générales des bâtiments

La construction de l’ensemble reprend les méthodes traditionnellement utilisées dans la région. La maçonnerie est principalement composée de pierres de taille de grès houiller et de moellons de schiste liés au mortier. Des structures en briques industrielles complètent ce dispositif pour les ouvertures de certaines portes et fenêtres, parfois associées à des arcs de décharge. Les toitures étaient à l’origine couvertes de tuiles de Sainte-Foy-l’Argentière. Il convient aussi de noter l’attention particulière apportée à la composition architecturale des bâtiments, qui les distingue d’autres édifices du même type des environs. Celle-ci témoigne notamment de la circulation active des modèles architecturaux durant cette période, qui favorise la diffusion chez les maîtres d’œuvre locaux de formes issues des traités et des revues sur la construction qui se multiplient au XIXe siècle [11].

La maçonnerie est principalement composée de pierres de tailles de grès houiller et de moellons de schiste liés au mortier

Le complexe est régi par des dispositions rationnelles qui assurent une distribution efficace de ses différents espaces, entre lieux de vie et lieux de production. Les bâtiments sont de plus organisés de manière symétrique à partir d’un élément central : la façade d’honneur réservée à l’accueil du public, avec l’entrée principale des ateliers desservie par un grand portail. À l’image des pavillons d’habitation situés aux deux extrémités de l’édifice pour plus d’intimité, cette entrée est dotée d’un fronton souligné par un jeu décoratif de briques rouges. Ce traitement ornemental se poursuit également sur les corniches de tous les bâtiments, assurant à l’ensemble du bâti unité et cohérence malgré son articulation en plusieurs pôles. Le fronton central est couronné d’une croix, à laquelle font écho les deux autres croix inscrites sur les faces principales de la cheminée, visibles depuis la route en arrivant du village. L’entrée principale est aussi surmontée d’une niche accueillant une statue de la Vierge encadrée de deux vases en fonte, ce qui rappelle l’importance du patronage marial dans la région [12].

Entrée d’honneur du bâtiment de l’usine.

Il est enfin important de souligner une légère différence de traitement architectural entre, d’une part, les façades principales du bâtiment d’usine et des pavillons d’habitations du côté de la route de la Terrasse, et, d’autre part, les façades donnant autrefois sur les prés. La pierre de taille est en effet privilégiée pour les ouvertures principales, portes, fenêtres, oculus en demi-lune des frontons et niches des sculptures du côté réservé au public, tandis que l’on a davantage recours à la brique moins onéreuse pour les parties secondaires, du côté des anciens espaces agricoles. Un soin particulier est ainsi alloué à « l’espace de représentation » associé à un jardin d’ornement, devant assurer prestige et renommée à l’usine et ses propriétaires. Cet effet est néanmoins obtenu sans ostentation, avec une simplicité en adéquation avec les valeurs principales revendiquées par le milieu social en question, à savoir la foi et le travail.

4. État de conservation de l’ensemble

Un rapport établi suite à une visite des services de l’Inventaire général du patrimoine culturel en 2014 a souligné le bon état de conservation de l’ensemble [13]. En dépit d’un incendie en 1988, qui a privé le complexe du bâtiment dédié lors de sa construction à une partie du logement ouvrier, la majorité des structures est restée en place. Le bâtiment de l’atelier n’a dans ce cadre connu que peu de modifications en dehors de la couverture de la cour arrière pour l’agrandissement de l’usine dans les années 1960. Il présente encore la cheminée de section carrée, particulièrement représentative de l’identité des lieux et élément-repère dans le paysage. Elle est toujours associée au réduit autrefois occupé par la machine à vapeur, au côté du réservoir établi pour le fonctionnement de celle-ci. La charpente en bois de ce bâtiment, longue de 55 mètres, n’a quant à elle subi aucune altération. Les deux habitations patronales ont quant à elles conservé leur vocation résidentielle et n’ont connu que peu de modifications quant à leur dispositions extérieures.

Toiture du bâtiment de l’usine

Certains espaces de service, tels que les bâtiments de l’écurie, les granges ou encore le lavoir subsistent aussi, bien qu’ils aient depuis longtemps cessé d’être utilisés. Leur conservation contribue aussi à faire de ce site un ensemble remarquable, témoignant des complexes industriels ruraux, quasi autarciques, qui se sont développés au XIXe siècle. Cela était permis par l’exploitation agricole des terrains alentour faisant autrefois partie de la propriété, assurant une production vivrière ainsi que le fourrage.

Un ancien lavoir

5. Mobilisation pour la protection des bâtiments de « l’Usine Coffy » au titre de monument historique

La fin de l’activité textile de l’usine Manutex en juin 2023, installée sur le site depuis 1972, a posé dès 2022 la question de l’avenir du bâtiment central du complexe, correspondant à l’atelier industriel. La promesse de vente à un promoteur, signée dans un premier temps et par la suite annulée, a dès lors suscité d’importantes inquiétudes vis-à-vis de sa conservation. La transformation envisagée du bâtiment en logements, prévoyait en effet la suppression d’importants éléments patrimoniaux, en particulier la cheminée de section carrée, ou encore le réservoir. Elle présentait en outre une grande incertitude quant à la préservation de l’unité de l’ensemble. Cela a déclenché des démarches pour solliciter la protection du site au titre de monument historique, malheureusement refusée par la commission permanente de la CRPA en mai 2023.

Une telle décision paraît cependant contestable au regard de l’insuffisance des mesures de protection concernant la typologie particulière des ateliers de moulinage de soie (dont les bâtiments en question sont particulièrement représentatifs), tant à l’échelle régionale que nationale. Cette typologie a pourtant été l’objet dès les années 1980, d’une étude consistant en un inventaire raisonné, d’abord en Ardèche, puis dans la Drôme et la Loire, financée par le ministère de la Culture [14]. Celle-ci a démontré l’importance sur le plan historique et culturel de cette forme architecturale, dont la diffusion a longuement marqué le territoire en question et caractérise encore son paysage. Ces premiers travaux n’ont cependant pas entraîné de mesures de protection significative pour la conservation de ce patrimoine fragile. Leur reprise récente par François Tran et Nadia Halitim-Dubois, démontre en effet sa vulnérabilité au regard des nombreuses disparitions ou dénaturations complètes dont il a depuis été victime, dans une certaine indifférence.

Face à ces considérations, et la menace persistante d’un rachat de l’ensemble par un promoteur immobilier dont les intérêts ne seraient pas forcément compatibles avec la préservation de ce patrimoine, un recours administratif a été formulé en juillet 2023 afin de demander la révision de l’avis en première instance de la CRPA. Celui-ci a été appuyé par différentes personnalités et acteurs intéressés, conscients de la nécessité d’une intervention pour éviter qu’un réaménagement non régulé ne dénature irrémédiablement certains éléments patrimoniaux remarquables de cet ensemble architectural.
Parmi les soutiens à cette démarche, prenant ainsi un caractère collectif, figurent en premier lieu celui d’acteurs locaux. La municipalité de Saint-Paul-en-Jarez, tient ainsi dans ce cadre à souligner l’importance du site en question, au regard notamment de la place que ce dernier a occupé dans la vie du village depuis le milieu du XIXe siècle. L’édifice étant seulement distingué par le PLU local comme élément remarquable, la mairie souligne l’importance de préserver au mieux cet ensemble architectural et sa mise en valeur en tant que patrimoine historique majeur de la commune.
Les associations pour la valorisation de l’histoire du territoire concerné se mobilisent également. C’est le cas de Monsieur Gérard MATHERN, président des Amis du Vieux Saint-Chamond, qui s’occupe aussi des questions jaréziennes et donc du patrimoine de Saint-Paul-en-Jarez. Il en va de même de Messieurs les présidents Gérard VENGEON, Henri JUAN et Monsieur le trésorier Jean-Claude TEILLARD, pour l’Association du « CERPI », qui œuvre pour la mémoire industrielle des vallées du Gier et du Dorlay. Elle s’intéresse depuis longtemps à cette ancienne usine, particulièrement pour son témoignage des techniques à travers les équipements conservés sur place comme la machine à vapeur, associée à la cheminée de section carrée, élément marquant dans le paysage local. Madame Luce CHAZALON enfin, présidente de la Maison des Tresses et Lacets de la Terrasse-sur-Dorlay, soutient aussi cette initiative contribuant à valoriser, de manière complémentaire à ses propres activités, l’architecture industrielle de la vallée du Dorlay.

À l’échelle de l’agglomération stéphanoise, le vice-président Marc CHASSAUBENE chargé du design, de la culture et du numérique pour « Saint-Etienne-La Métropole », soutient cette initiative au nom du développement du projet « Pays d’Art et d’Histoire-Saint-Etienne ». Cet appui est renforcé par celui du comité de pilotage du collectif « Lieux et Mémoires de nos vallées », représenté par Monsieur Jean-Michel CHAUVET, au regard de ses objectifs de valorisation et de conservation du patrimoine industriel, social et culturel de cet espace. Monsieur Maurice BEDOIN, qui s’intéresse de près au complexe, soutient quant à lui cette démarche au nom de l’association historique du « GREMMOS » dont il est vice-président. C’est d’ailleurs à cette dernière qu’a été commandée par Monsieur Grégory CHARBONNIER, responsable du projet Pays d’Art et d’Histoire-Saint-Etienne, une contribution sur le logement ouvrier qui sera publiée en octobre dans la collection « Parcours ». L’ancienne usine-pensionnat en question a été retenue pour représenter ce type de logement très particulier, pour la main d’œuvre féminine, dans le secteur du Pilat. L’administration de ce Parc naturel régional, qui soutient aussi ces démarches en la personne de Monsieur le président Charles ZILLIOX, s’emploie d’ailleurs elle aussi à valoriser le patrimoine architectural et industriel de la vallée du Dorlay, dans le cadre de sa charte signée en 2013, et apporte son soutien au présent recours au regard du caractère exceptionnel qu’elle reconnaît au site en question.
Enfin, Mme Hélène CHATEAU, présidente de la Fédération du Patrimoine Aurhalpin, au rayon d’action plus étendu, donne également son appui pour obtenir la protection de ce site qui retient toute son attention.

6. Perspectives de valorisation et avenir de ce bâtiment historique

La mobilisation afférente à cette demande de protection se traduit parallèlement par le renouveau des perspectives de mise en valeur patrimoniale de ce complexe. Jadis, il avait déjà fait l’objet de visites de membres de sociétés historiques ou encore de curieux [15] ; aujourd’hui, son recensement parmi les sites retenus dans la collection « Parcours », développée dans le cadre du projet Saint-Etienne Pays d’Art et d’Histoire, promet de renouveler sa visibilité parmi l’ensemble des structures mises à l’honneur dans ce cadre. Il bénéficie de surcroît de sa proximité avec les autres sites historiques industriels de la vallée du Dorlay, comme la Maison des Tresses et Lacets située à la Terrasse-sur-Dorlay. Les démarches en cours pour obtenir d’autres reconnaissances, par exemple le label « Ensemble industriel remarquable » de la Fédération du Patrimoine Aurhalpin, pour lequel le site a toutes les caractéristiques requises, pourront aussi renforcer l’intérêt autour de ce complexe. L’hypothèse, enfin, d’installer des panneaux informatifs, notamment dans le cadre de la mise en valeur du Parc régional du Pilat, encourage aussi une reconnaissance plus large de l’histoire sociale, humaine et économique de ce territoire, particulièrement incarnée par le complexe en question. Cette histoire, loin d’être terminée, connaît d’ailleurs actuellement des développements qui pourraient assurer un avenir digne au site concerné.

Parmi les nouvelles hypothèses de reprise du site qui se font jour [16], l’intérêt porté par l’association « Les Nouveaux ateliers du Dorlay » mérite d’être mentionné. Celle-ci fait partie des projets mis en place pour l’évolution économique, sociale et environnementale de la vallée, et est en autres soutenue par Saint-Etienne Métropole, la région Auvergne Rhône-Alpes, la direction régionale des entreprises et bénéficie de fonds européens. Elle cherche aujourd’hui un tiers lieu pour installer son « fab-lab » et accueillir des formations textiles de haut niveau. Les dispositions architecturales des bâtiments d’usine de Saint-Paul-en-Jarez, qui ont été visités par la présidente de l’association en compagnie d’une représentante de l’UDAP, paraissent dès lors tout indiquées pour l’accueil d’une telle structure. Se dessine un projet de table ronde étudiant cette possibilité, organisée par l’administration du Parc du Pilat en partenariat avec la municipalité de Saint-Paul-en-Jarez. Celle-ci pourrait réunir des acteurs de la sauvegarde et de la mise en valeur du patrimoine, d’une part, mais aussi l’établissement public EPORA, d’autre part, dont l’intervention favoriserait la concrétisation d’un tel projet pour assurer un avenir à ce site, en cohérence avec la protection actuellement demandée.

L’usine vue depuis le jardin côté sud. Image L. Bourrin

Le complexe en question, patrimoine majeur de l’histoire et de la mémoire industrielle qu’il incarne, mais aussi de la qualité de ses dispositions architecturales, et de son bon état de conservation, mérite quoi qu’il en soit un avenir à la hauteur de l’héritage qu’il représente. La mobilisation qu’il suscite afin d’en favoriser la sauvegarde, mais aussi les hypothèses concernant son devenir, confirment également l’importance de préserver ce site exceptionnel qui témoigne de l’histoire industrielle de la vallée du Dorlay. Il semble d’autant plus primordial de conserver ce témoignage architectural pour les générations futures, que l’on s’emploie justement à réhabiliter et à faire vivre un patrimoine vivant de la région Auvergne Rhône-Alpes, et plus particulièrement du département de la Loire, fer de lance de l’industrie textile au XIXème siècle.

Notes

[1Centre d’études et de recherches du patrimoine industriel (CERPI), Cinq siècles de textile : Saint-Chamond : vallées du Gier et du Dorlay, s.l., CERPI, 2021, p. 273-275.

[2Il loue d’abord les ateliers Chorel à partir de 1841. Jean-Marie Bourrin, Mémoires, 1856.

[3Archives privées Coffy, Contrat de société, 1854.

[4Georges Gay « Mines, forges et usines dans la vallée du Gier (Loire) : le patrimoine industriel comme palimpseste social », in Mémoires d’Industrie, 1996, p. 117.

[5Ce lieu doit sa dénomination à la croix de la Condamine, établie au croisement de la route de Farnay et de la route de Saint-Paul-en-Jarez en direction de la Terasse-sur-Dorlay par Arthaud 1er, Seigneur de Farnay en 1605. La croix conserve son piédestal du XVIIe siècle, le reste ayant été restauré après sa destruction lors d’une tempête en 1940 grâce à André Coffy, ayant confié les travaux au sculpteur Louis Bernard en 1973. Sur cette croix, voir James Condamin, Histoire de Saint-Chamond et de la Seigneurie de Jarez depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours,1890, p. 694 et Louis Bernard, Les croix monumentales du Forez, Conseil Général de la Loire, Saint- Etienne, 1971, p. 200.

[6Jean-Marie Bourrin, Mémoires, 1856.

[7CERPI, Op. cit., p. 273-275.

[8Le moteur à vapeur fournissait la force motrice de 25 chevaux, 900 à 1000 kg de charbon étaient nécessaires journellement à son fonctionnement. Au XXe siècle, il est remplacé par un moteur électrique. Le complexe architectural est alors équipé pour produire sa propre énergie, avec un système d’accus hydrauliques (batterie électrique).

[9Voir « La cheminée Coffy », in Centre d’études et de recherches du patrimoine industriel (CERPI), Les Cheminées d’usine, leur construction, leur évolution, leur histoire, 2001. La cheminée en question a récemment été l’objet de l’attention de Brice Cazalbon, qui répertorie ce type de structures dans la région. Sur la cheminée Combélibert, voir notamment https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00135650

[10Valérie Huss, « Les usines-pensionnat », in L’aventure textile en Rhône-Alpes, éditions le Dauphiné, 2009, p. 20-21. Voir aussi sur cette question, Habiter l’usine, voyage au cœur du logement ouvrier, coédition Somogy éditions d’art, Paris et Département de l’Ain, Bourg-en-Bresse, 2016.

[11Pour la démocratisation des modèles architecturaux par le biais du développement et de la diffusion des traités et des revues sur la construction au XIXe siècle, voir particulièrement Marc Saboya, Presse et architecture au XIXe siècle : César Daly et la Revue générale de l’architecture et des travaux publics, Paris, Picard, 1991.

[12Bulletin historique des amis du vieux Saint-Chamond, Société historique et archéologique du Jarez, Le Jarez, hier et d’aujourd’hui, décembre 1999.

[13Nadine Halitim-Dubois, L’entreprise de Tresses et lacets, Coffy/Manutex : URL : https://patrimoine.auvergnerhonealpes.fr/dossier/usine-de-tresses-et-lacets-manutex-puis-coffy/ a953372e-19da

[14Cette étude sur l’architecture du moulinage de soie a été réalisé 1985 par Bernard Duprat et Michel Paulin, puis reprise par François Tran entre 1990 et 1993, au Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF). Elle a notamment donné lieu à la publication suivante : Bernard Duprat, Michel Paulin, François Tran, Du fil à retordre : l’architecture des moulins à soie dans le Rhône moyen, Lyon, France, Presses universitaires de Lyon, 1993.

[15Le compte rendu d’une de ces visites par André Coffy a été publié dans le Bulletin historique des amis du vieux Saint-Chamond, Société historique et archéologique du Jarez, « Le Jarez, hier et d’aujourd’hui », décembre 1999.

[16Des promoteurs restent intéressés par une reconversion du site en logements.