Le NON des associations au "Grand Palais éphémère" du Champ de Mars, énième occupation "provisoire" du site classé

Grand Palais éphémère utilisée lors des JO de 2024

LETTRE OUVERTE à M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre
Hôtel de Matignon
57, rue de Varenne
75007 Paris

Paris, le 9 juin 2020 

Monsieur le Premier ministre,

Depuis mars 2020, notre pays traverse une crise sanitaire et économique sans précédent dont les effets sont loin d’être connus et le coût évalué. Depuis, beaucoup de projets dans différents domaines, et non des moindres, qui avaient été prévus pour l’été et l’automne 2020 ont dû être reportés et, certains, annulés.

La situation des finances publiques de l’Etat est préoccupante au point de mettre en difficulté la réalisation de grands projets pourtant essentiels comme la revalorisation des personnels de première ligne, la refondation de l’hôpital et le soutien massif aux différents acteurs et secteurs de l’économie - autant de priorités coûteuses, mais légitimes que le virus a soudainement fait émerger et qu’il serait difficile d’éviter de traiter.

Enfin le confinement, puis le « déconfinement », même contrôlé, ont démontré combien les Parisiens et plus largement les Français étaient attachés à tous les espaces de liberté qui leur ont fait défaut pendant plus de deux mois et dont, à Paris, le Champ de Mars est particulièrement emblématique.

Sondages effectués pour l’établissement du Grand Palais éphémère. Photo Sites & Monuments du 20 janvier 2020

Dans ce contexte tout à fait nouveau, les associations signataires de ce document souhaitent faire valoir auprès de vous leur position sur un projet lancé dès 2018 visant à la confiscation au public du Champ de Mars, site classé ouvert à tous, riverains, Parisiens, visiteurs, pendant 4 ans (de l’automne 2020 à 2024). Ce projet estimé à 40 M €, c’est l’édification d’un Grand Palais Ephémère sur le Plateau Joffre et sur certaines pelouses du Champ de Mars (soit au total près de 27 000 m²). Cette installation destinée, dans un premier temps, à compenser la fermeture du Grand Palais pour rénovation devrait, dans un second temps, accueillir en 2024 dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris des épreuves qui pourront regrouper quotidiennement jusqu’à 9 000 spectateurs.

Ce projet serait l’aboutissement d’une tendance, désormais récurrente, à vouloir privatiser les espaces naturels du Champ de Mars pour les événements les plus divers (Euro de football, Jumping, Village Rugby, Salon des antiquaires, entre autres). Une cinquantaine d’autorisations sont ainsi délivrées chaque année pour une occupation de près de 200 jours. Nous pensons que cet espace n’a pas de meilleur service à rendre à Paris que de redevenir lui-même. Evénementiel permanent ou respect de la nature et du patrimoine, il faut désormais choisir. Car les incidences de ce Grand Palais Ephémère, par son emprise en surface et en volume, par l’intensité de sa fréquentation et de sa durée de quatre ans, seront sans commune mesure avec celles de la « Fan Zone » (juin-juillet 2016) de la coupe de football de l’UEFA ou des manifestations jusque-là autorisées chaque année.
Les promeneurs, les enfants, les visiteurs de toute sorte se verront confisquer un remarquable espace. Les amoureux du patrimoine ne pourront plus voir la magnifique façade de l’Ecole militaire, récemment restaurée, due au génie de l’un de nos plus grands architectes, Ange-Jacques Gabriel, car elle sera occultée. De surcroît, ce Grand Palais Ephémère sera source de nuisances multiples pour les riverains et les habitants proches des 7ème et 15ème arrondissements. En effet, lors de leur montage, de leur démontage et de leur déroulement proprement dit, les multiples manifestations que ce dispositif accueillera s’enchaîneront sans discontinuer, entraînant des mouvements de véhicules, le recours à des dispositifs d’aération, des flux importants de personnes, des nuisances sonores, des difficultés de trafic et de stationnement, pour ne citer que les plus évidentes, perturbant profondément la vie du lieu et sa sécurité, sans oublier celle de l’Ecole militaire, qui fera face à la structure. Malgré deux réunions dites d’information et de concertation, en octobre 2019 et janvier 2020, les nombreuses questions concrètes soulevées par les associations et les riverains conviés à s’exprimer n’ont donné lieu à aucune confirmation concrète et écrite des dispositions prises pour les rassurer. L’inquiétude est forte et générale et l’incompréhension de ce projet est croissante dans le climat actuel.

La Réunion des musées nationaux (RMN-GP) qui relève du ministère de la Culture et de la
Communication a obtenu, en juillet 2018, de la Ville de Paris, propriétaire du Champ de Mars, une autorisation d’occupation d’un tiers de ce domaine public. Elle a signé en septembre 2019 avec le Comité Officiel des Jeux Olympiques – Paris 2024 un contrat de concession avec un prestataire de service, GL. EVENTS, chargé d’assurer la mise en place de l’installation à l’automne 2020, sa gestion pendant la durée de la structure et sa désinstallation en 2024. Ces deux contrats font chacun l’objet d’un recours devant la justice administrative.

Sondages effectués pour l’établissement du Grand Palais éphémère. Photo Sites & Monuments du 20 janvier 2020

Dans un cadre plus général et pour préparer le terrain au Grand Palais Ephémère, la Ville de Paris, après s’être rendue propriétaire du Mur pour la Paix, vient de lancer la procédure de sa « déconstruction » et de sa réinstallation dans le 15e arrondissement (au total 1,5M € pour toute cette opération), afin de libérer l’espace que ce monument privé occupait illégalement sur le Champ de Mars. Comme on peut le constater, aujourd’hui qu’elle est achevée, cette « déconstruction » libère heureusement un vaste espace et redonne sa pleine justification à la perspective historique que le monument « cassait » depuis 20 ans. On peut toutefois s’interroger sur l’opportunité de telles dépenses publiques pour un monument qu’une décision de la Cour administrative d’appel de Paris du 28 septembre 2019 avait exigé, sans aucune référence au projet du Grand Palais Ephémère, de faire « détruire » dans les trois mois et à la place duquel on va ériger une structure monumentale qui confisquera encore plus de terrain, qu’on peut difficilement, vu sa durée, qualifier d’éphémère et qui bouchera complètement la perspective.

Il apparaît, à partir de toutes les nombreuses préoccupations exprimées à propos de ce projet conçu avant la crise du coronavirus et, à ce jour, non encore mis en œuvre, que la situation nouvelle budgétaire, socioéconomique et éventuellement sanitaire (où en serons-nous à l’automne 2020 et après ?) conduit à une conclusion qui nous semble raisonnable.

Le projet de Grand Palais Ephémère sur le Champ de Mars doit être abandonné et d’autres lieux et options examinés pour éviter, par sa poursuite, non seulement de peser sur les finances publiques, mais aussi de créer de potentielles menaces sanitaires par des rassemblements de milliers de personnes et enfin de priver les habitants et tous les amoureux de Paris pendant quatre longues années de la jouissance d’un espace prestigieux et classé ouvert à tous, vrai poumon de notre capitale.

Veuillez croire, monsieur le Premier ministre, à l’assurance de notre haute considération

Les associations signataires :

M. Gérard Roubichou, président du Comité d’Aménagement du VIIe Arrondissement, 105 rue Saint Dominique, 75007 Paris
M. Bernard Seydoux, président des Amis et Usagers du Champ de Mars, 4 rue Amélie, 75007 Paris
M. Cyrille Schott, président de L’École militaire, lieu de mémoire, 1 place Joffre, Case 62, 75700 SP 07 Paris
M. Julien Lacaze, président de Sites & Monuments, 39 avenue de La Motte-Picquet, 75007 Paris
M. Pierre Le Roux, président de Saxe Breteuil Aménagement, 26 avenue de Saxe, 75007 Paris
M. Philippe Codet, président de l’association des Familles du VIIe, 4 rue Amelie, 75007 Paris
M. Claude Birenbaum, président de La Plateforme des Associations Parisiennes d’Habitants, 75 avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris
M. François Douady, président de XVIe Demain, 7, rue Molitor, 75016 Paris

Copie à M. Franck RIESTER, ministre de la Culture et de la Communication

Consulter la lettre ouverte au format pdf