Avoriaz : Ensemble « remarquable » depuis 1966, victime de l’urbanisation

Vue d’Avoriaz (Haute-Savoie). Station édifiée à 1800 m d’altitude sur un plateau orienté au sud, composée selon un plan d’urbanisme compact, qui privilégie la desserte par les pistes de ski et les chemins piétons enneigés, excluant la voiture. En référence aux espaces publics, s’élève une architecture fonctionnelle aux volumétries fragmentées dictées par la recherche du meilleur ensoleillement et des perspectives sur les sommets. - Photo. Éric Dessert© Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel, 2011

La station d’Avoriaz est née d’un projet d’extension du domaine skiable de la commune de Morzine dès les années cinquante, après l’équipement des pentes du Pléney en 1934 grâce à l’un des premiers téléphériques pour skieurs. C’est ainsi que Jean Vuarnet (1933-2017) tracera les pistes de ski sur les pentes des Hauts Forts (2466 m), inclinées sur le plateau d’Avoriaz qui se présente comme un vaste balcon placé au sommet d’une falaise de plus de 700 m de haut, dominant la vallée des Ardoisières et de Morzine,

En 1962, l’aménagement du site est concédé au groupe Brémond-Lafont qui confie à Gérard Brémond (né en 1937) la responsabilité de le développer suivant le concept de station intégrée. Amateur de jazz et de cinéma, Gérard Brémond rêve d’une « métropolis des neiges », idée très éloignée des projets retenus localement. Le projet de la station est confié à l’architecte urbaniste Jacques Labro (né en 1935), Prix de Rome 1961, qui s’entoure en 1964 de professionnels encore étudiants.

Le plan directeur s’appuie sur une mise en valeur des caractères du site (pente skiable orientée au sud) qui tient compte des infrastructures déjà réalisées (pistes, remontées mécaniques, viabilisation partielle). La station sera sans voiture, privilégiant un accès direct par un téléphérique depuis le fond de la vallée. La priorité est donnée aux déplacements à pied et à ski, par des pistes qui irriguent chacune des trois unités paysagères. Celles-ci forment trois quartiers dont l’organisation est largement déterminée par leur topographie : Les Dromonts incorporé à la butte, Les Crozats adossé au piedmont et La Falaise dressé sur le plateau.

Les architectes recherchent une intégration des constructions aux lieux - implantation en fonction du soleil, des vues, des pratiques sportives, choix de matériaux harmonisés au paysage - et une intégration de la pratique du ski dans l’organisation de la station. Ils jettent ainsi les bases d’une architecture expressive qui cherche à réconcilier construction et nature en s’appuyant sur les ressources du plateau : le rocher, le bois, la neige, la pente, le soleil. La silhouette générale des constructions ainsi que le traitement des limites avec l’espace non bâti font l’objet d’une grande attention. Cela dans le respect des programmes de construction à réaliser.

La conception des immeubles s’affranchit de toute référence à une trame régulière, permettant des plans polygonaux ou en éventail, générant des volumétries variées, des bâtiments en gradins, parfois des toitures enveloppantes, et installant des vues toujours différentes.
Ce qui conduit à des bâtiments aux allures fragmentées, s’élevant en pyramides, comportant des façades inclinées, proposant des volumes recouverts de bois qui protège l’isolation thermique, différents selon le modelé du terrain.

Détails de la toiture formant façade à l’hôtel des Dromonts, Jacques Labro, architecte, 1966. Photo. Éric Dessert ©Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel, 2011

La station se constitue ainsi comme un puzzle dont chaque morceau est différent - jamais identique - mais se découpe selon des profils comparables. L’addition des uns et des autres forme un espace de vie cohérent. Donnant forme à l’objectif de Jacques Labro « que tout se ressemble, mais que rien ne soit pareil ».

Dès son ouverture, en décembre 1966, après l’achèvement de l’hôtel des Dromonts, la station prend valeur de manifeste, rapidement confortée avec les singularités de la vie culturelle et sportive qui ne cesse de se renouveler : déplacements en traîneaux tirés par des rennes et des chevaux, festival du film fantastique (1973-1993), « village des enfants », les « Portes du Soleil », premier domaine skiable transfrontalier avec la Suisse. Le retentissement et la médiatisation d’Avoriaz ainsi que le succès commercial permettent à Gérard Brémond de créer en 1978 le « groupe Pierre & Vacances » qui sera l’un des premiers hébergeurs touristiques français. La station compte aujourd’hui 20 000 lits touristiques répartis dans les trois quartiers reliés par des espaces voués au ski ou à la promenade. Et toutes les habitations sont joignables à ski.

Plan d’Avoriaz avec indication (rond rouge) du lieu d’implantation du projet d’hôtel – © https://www.geoportail.gouv.fr/carte, saisie d’écran 12 mars 2021 »

Cette renommée est également le résultat d’une politique architecturale, urbaine et paysagère qui réussit à maîtriser le développement d’Avoriaz et à maintenir ses orientations initiales, sans mise en cause ni de l’architecture, ni de l’organisation urbaine, à la différence de beaucoup de stations touristiques.

L’insertion des projets dans la composition de la station, parfois comparée à une « mélodie fragmentée », fait l’objet de la plus grande vigilance. Elle repose sur un travail régulier du maître d’ouvrage (la société Pierre & Vacances) avec Jacques Labro chargé soit de réaliser les projets, soit d’accompagner et d’examiner ceux réalisés par d’autres professionnels, en qualité de conseil de la station. L’association des autorités publiques et des acteurs économiques à ce dispositif contribue très largement à la réalisation de la station.

C’est la permanence de cette cohérence que le ministère de la Culture a retenu pour labelliser « patrimoine du XXe siècle » (arrêté préfectoral du 10 mars 2003) la composition urbaine de la station et plus de dix édifices majeurs (devenu en 2016, label « Architecture contemporaine remarquable »).

2021 : Projet de construction d’un hôtel à Avoriaz en forme de « barre »

Par décision du 15 février 2021, le maire de Morzine vient d’autoriser la construction d’un hôtel de 154 chambres, en contrebas du rebord supérieur de la falaise du plateau d’Avoriaz (sous l’ancienne gare du téléphérique précisément), soit une situation emblématique : face à la vallée menant à Avoriaz, là où aucun bâtiment n’a jusque-là été édifié. Ce qui conduit à « étendre la station » au-delà du rebord de la falaise qui assurait, jusqu’à présent, la limite naturelle du site par le vide et l’étendue de la vue sur la vallée, Morzine et les montagnes du massif du Chablais.

Vue aérienne du projet d’hôtel. © AJN architecte

Le permis de construire porte sur la construction de 9 500 m² de plancher sous la forme d’un édifice de plus de 80 mètres de long, d’une hauteur culminant à 28 mètres, comportant une façade quasiment lisse qui sera exposée au grand paysage. Conçu à la manière d’une « barre », le projet est très éloigné de ce qui a été bâti jusqu’à présent à Avoriaz (quels que soient les intervenants, architectes et maîtres d’ouvrage). Voir l’article du Messager en date du 9 mars 2021

Coupe du projet placé au bord de la falaise © AJN architecte

Le projet est en contradiction flagrante avec le site d’Avoriaz dont la perception depuis la montée en télécabine, « l’entrée principale » dans la station, a été maintenue volontairement exempte de toutes constructions depuis plus d’un demi-siècle. Il est également à l’opposé de l’architecture de la station dont le respect est régulièrement rappelé et défendu par les autorités locales et nationales comme par les acteurs économiques de la station. En témoigne la persistance de l’unité de « l’ensemble urbain », alors qu’Avoriaz a connu des développements successifs importants.

Elévation du projet. © AJN architecte

Le projet portera atteinte non seulement au site d’Avoriaz, mais aussi aux motifs qui fixent l’attribution des labels « Architecture contemporaine remarquables » par le ministère de la Culture. Il dénaturera l’esprit originel de la station.

Jean-François Lyon-Caen, architecte, fondateur du master et de l’équipe de recherche architecture-paysage-montagne à l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble.

Plus d’informations sur Avoriaz ici et là.

Voir l’article publié le 9 juillet 2021 dans Le Monde