Courrier du G7 Patrimoine : pour un classement d’office de la cité-jardin de la Butte Rouge au titre des SPR

Le 20 mars 2024, les associations du G7 Patrimoine ont écrit à Mme la ministre de la Culture concernant la cité-jardin de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry en lui demandant d’exercer ses prérogatives en matière de classement d’office des Sites patrimoniaux remarquables. La délimitation proposée par la municipalité est en effet incohérente et dictée, non par l’intérêt patrimonial de la cité-jardin, mais par des opportunités de construction.
JL

La Butte-Rouge. Photo Barbara Gutglas.

 

Madame Rachida DATI
Ministre de la Culture
3 rue de Valois
75001 PARIS Cedex 01

 
Paris, le 20 mars 2024

 
Madame la Ministre,

Nous nous réjouissons de votre nomination à la tête du ministère de la Culture et nous vous en félicitons. Ce ministère a dans ses attributions, depuis l’origine, la protection du patrimoine qui s’exerce aujourd’hui via la gestion des monuments historiques et des sites patrimoniaux remarquables (SPR) notamment issus des secteurs sauvegardés par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dispositif dont vous êtes familière puisque le VIIe arrondissement de Paris en possédait un devenu bien entendu lui-aussi SPR.

La protection du patrimoine sous ses multiples formes est donc une compétence fondamentale de ce ministère ; c’est pourquoi, comme il l’a déjà été fait auprès de votre prédécesseur par les associations locales, nous vous alertons solidairement au titre du « G7 Patrimoine », groupement national des associations de défense du patrimoine reconnu par votre ministère, sur les dangers de démolition et de déstructuration qui pèsent actuellement sur la cité-jardin de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry dans les Hauts-de-Seine.
Le maire a, en effet, fait voter une procédure de démolition de nombre de bâtiments de cette cité par le conseil d’administration de Hauts-de-Bièvres Habitat, nouveau propriétaire de la cité-jardin, et un projet de réaménagement d’ensemble est en cours avec l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine, qui conduit à ces démolitions accompagnées d’un remaniement des abords des immeubles qui en constituent le paysage indissociable.

Compte tenu de la grande qualité à la fois patrimoniale et représentative d’un mouvement particulier d’urbanisme à caractère social qui s’est développé en région parisienne sous l’impulsion d’Henri Sellier, homme politique de premier ordre, président de l’Office Public d’Habitations à Bon Marché (OPHBM) de la Seine et maire de Suresnes entre 1919 et 1941, la cité-jardin de la Butte Rouge représente, parmi les quinze autres construites par l’OPHBM en région parisienne, une véritable œuvre urbaine.

Ce n’est donc pas étonnant que votre propre ministère ait labellisé cette cité en 2008 au titre de Patrimoine du XXe siècle, label qui, selon la fiche qui lui est associée émise par votre ministère, vise « les constructions et ensembles urbains ... dont l’intérêt architectural et urbain justifie de les transmettre aux générations futures comme des éléments à part entière du patrimoine du XXe siècle ».
Cet intérêt a, depuis, été largement confirmé notamment par la mobilisation des plus grands architectes français, reconnus internationalement, ainsi que par le classement de la cité par l’association Europa Nostra parmi les sept sites patrimoniaux les plus menacés d’Europe en 2022.

Dès lors, il n’est pas concevable de porter atteinte de la sorte à ce patrimoine qui, même s’il a été réalisé en plusieurs étapes entre les années 1931 et 1965, se présente aujourd’hui comme un véritable ensemble urbain qui ne devrait donc faire l’objet d’aucune amputation propre à le dénaturer.

Cet intérêt majeur, associé à cette qualité d’ensemble urbain, justifie la raison pour laquelle la Commission Nationale du Patrimoine et de l’Architecture (CNPA), saisie d’un projet de Site Patrimonial Remarquable (SPR) sous l’impulsion de vos services, a émis, à l’unanimité, le 21 septembre 2023, un avis favorable sur le principe d’un tel classement.
Elle a été toutefois très réservée sur le périmètre proposé par la collectivité qui n’englobe qu’une partie de la cité et prévoit la démolition d’immeubles qui, appartenant pourtant à la cité (notamment à sa première tranche de construction), n’ont pas été intégrés dans ce périmètre. Compte tenu des votes exprimés par la commission (10 voix favorables, 9 voix contre et 2 abstentions) portant sur le périmètre proposé, et au regard des règles de son fonctionnement définies par arrêté ministériel, celle-ci n’a pas émis un avis favorable, malgré les affirmations de la collectivité.
Il vous appartiendra donc de trancher en votre âme et conscience.

À ce propos, nous attirons votre attention sur l’importance de votre décision au regard de la crédibilité qui devrait rester attachée au dispositif des SPR qui, certes, se construit concrètement en collaboration avec les collectivités, mais ne saurait aboutir pour autant à la négation même des principes les sous-tendant. Or, l’article L.631-1 du Code du patrimoine est tout à fait explicite dans la mesure où il dispose que « sont classés au titre des sites patrimoniaux remarquables les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public », ce qui exclut, de fait, toute démarche de rénovation urbaine.
Le classement en SPR dans les conditions proposées par la collectivité - détourant les parties à urbaniser sans aucune justification scientifique - pourrait apparaître, dans le cas d’espèce, comme une instrumentalisation du dispositif à visée, en l’occurrence, purement opérationnelle.

C’est pourquoi, nous vous demandons de faire en sorte que ne soit pas donné suite en l’espèce aux propositions de la commune et donc que ne soit pas lancée l’enquête publique prévue par l’article R. 631-2 du code précité placée sous l’autorité du préfet.
Nous vous rappelons qu’il peut être fait usage, après avoir saisi la commune d’un nouveau projet de SPR tenant compte des résultats du précédent vote de la CNPA, des possibilités émises par le deuxième alinéa de l’article L. 631-2 du même code permettant, « À défaut d’accord de l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme, de document en tenant lieu ou de carte communale, [de classer] le site patrimonial remarquable par décret en Conseil d’État, après avis de la CNPA. ».
Nos associations sont particulièrement attachées à la pratique du classement d’office, voulue par André Malraux, manifestant le caractère national de la protection au titre des Secteurs sauvegardés, devenus aujourd’hui SPR. Vous trouverez, en annexe, les conditions qui nous apparaissent s’imposer pour cet usage.

Ce n’est résolument qu’à ces conditions que la crédibilité évoquée ci-dessus serait respectée.

Espérant que vous prendrez en considération notre opposition à une poursuite dans les mêmes termes d’un classement en SPR fondé sur les conditions fixées par la collectivité et que vous donnerez suite aux propositions ci-dessus, nous vous prions d’accepter, Madame la Ministre, l’expression de notre haute considération.

Olivier de LORGERIL, président de La Demeure Historique
Gilles ALGLAVE, président de Maisons Paysannes de France
Christophe BLANCHARD-DIGNAC, président de Patrimoine-Environnement
Marie-George PAGEL-BROUSSE, présidente de Rempart
Olivier de ROHAN CHABOT, président de La Sauvegarde de l’Art Français
Julien LACAZE, président de Sites & Monuments
Xavier MARIN, président des Vieilles Maisons Françaises

La Butte-Rouge, détail. Photo Barbara Gutglas.

 


ANNEXE PRÉCISANT LES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DU
2E ALINÉA DE L’ARTICLE L. 631-2 DU CODE DU PATRIMOINE

À l’analyse des dispositions du Code du patrimoine, la mise en œuvre du 2ème alinéa de l’article L.631-2 dans le cas concerné devrait respecter les conditions ci-après.
1) Établissement par la DRAC/architecte des bâtiments de France d’un nouveau projet de SPR tenant compte des résultats du précédent vote de la CNPA, c’est-à-dire en particulier englobant l’ensemble de la cité-jardin et comportant la réhabilitation et non la rénovation des immeubles ainsi que la seule requalification du paysage de la cité-jardin.
2) Saisine de la commune par le préfet sur ce nouveau projet.
3) En cas de refus de la commune exprimé dans le délai de 2 mois, lancement par le préfet d’une enquête publique, sur la base du nouveau projet, en vue d’un classement en SPR via le deuxième alinéa de l’article L.631-2 du Code du patrimoine.
4) Transmission du dossier résultant de l’enquête publique. à la direction générale des patrimoines et de l’architecture.
5) Consultation par celle-ci de la CNPA qui devrait alors émettre un avis favorable sur le SPR et son nouveau périmètre.
6) Proposition, par le ministre de la Culture, du projet au Conseil d’État pour classement en SPR par décret.


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