Bourges : tabula rasa à la cité-jardin de l’Aéroport

Le 22 mars 2023, le Berry Républicain titrait sa rubrique locale Bourges-Ville : « Ce sont finalement 190 logements qui seront rasés dans le quartier Aéroport à Bourges ». Un peu plus loin : « Le verdict est tombé. (…) Ce sont 141 appartements de logements collectifs qui sont condamnés, ainsi que 49 pavillons d’ici trois ans ».

Comment, cette cité-jardin édifiée entre 1931 à 1954 et labellisée en 2016 « Architecture Contemporaine Remarquable » peut-elle être perçue, aujourd’hui, comme bonne à détruire par le bailleur social départemental et certains responsables politiques locaux ?

Les cités-jardins une qualité d’urbanité

Dès la fin du XVIIIe siècle, les utopistes européens, sensibles aux transformations sociales, élaborent des projets de ville idéale. En Angleterre, Ebenezer Howard (1850-1928) développe l’idée des cités-jardins. Théoricien et praticien, il enrichit la réflexion sur l’urbain et la nature. Les cités-jardins s’installent dans les campagnes, se réapproprient la nature qui devient l’espace de socialisation par excellence.

En France en 1915, la naissance de l’office public d’habitations à bon marché de la Seine est due à l’initiative d’Henri Sellier (1883-1943), natif de Bourges, militant coopérateur et maire de Suresnes. Le département de la Seine acquiert des terrains tout autour de Paris avec l’ambition d’y construire des cités-jardins. Une vingtaine de cités et quartiers jardins vont de la sorte être édifiés en région parisienne. L’une des plus fameuses étant celle de la Butte Rouge à Chatenay-Malabry, également menacée et défendue par Sites & Monuments.

Circonstance de la création de la cité-jardin de l’Aéroport

Le déclencheur de sa réalisation est la création à Bourges des usines d’aviation Hanriot en 1928. L’Etat incitait en effet, en raison des dommages considérables que la Première Guerre mondiale causa aux outils de production situés dans les zones de combat frontalières, les entreprises stratégiques à se replier au sud de la Loire. Face à l’afflux des ouvriers, le conseil municipal décide de la création d’un nouveau quartier dans la zone non aedificandi aux abords nord de l’aéroport.

L’équipe de l’architecte Maurice Payret-Dortail (1874-1929), proche d’Henri Sellier cité plus haut, lui-même natif de Bourges et ami d’Henri Laudier, maire de Bourges, élabore un projet mêlant logements collectifs et individuels.

Une première tranche de 128 logements est construite à partir de 1933 et livrée en 1934. Une deuxième est réalisée avant 1940 et le programme est poursuivi après la guerre qui a entraîné des destructions. En 1953, on compte 398 logements dont 108 pavillons individuels.

Spécificités de la cité-jardin de l’Aéroport

Les îlots d’habitation collectifs sont animés par des impasses, des squares et des places. Le style est résolument moderniste, proche des formules utilisées par le même architecte au Plessis Robinson : toit-terrasse, scansion horizontale grâce aux loggias, balcons, corniches, jardinières et autres décrochés horizontaux. Les courbes des immeubles collectifs suivent celles des ronds-points. Irrigués par de petits chemins, des espaces verts et squares avec jeux d’enfants côtoient des jardins familiaux destinés aux locataires.

Sur des parcelles d’environ 300 m2, les pavillons individuels comprennent une salle familiale avec cuisine / laverie séparée, des toilettes et trois chambres. Chaque pavillon dispose de son jardin privatif ouvrant sur les espaces collectifs des cœurs d’îlots. À partir d’un même module de base, les architectes ont créé cinq types de logements, combinés de huit manières différentes : à étage ou en rez-de-chaussée, jumelés ou en bande… Enfin, le traitement des façades est différent suivant leur implantation : ceux situés le long des rues sont enduits d’un crépi, tandis que ceux construits aux angles des rues ont un parement de pierre.

Une première réhabilitation réalisée

En 2006, des travaux de réhabilitation sont programmés : « Restauration totale de l’enveloppe des maisons. Priorité aux économies d’énergies. Homogénéisation du confort ». Ils sont achevés en 2012. En outre, l’Office Public du Cher annonce, dès 2018, après des réclamations de locataires se plaignant des factures élevées de chauffage, la « réalisation de l’isolation thermique des logements ».

Aujourd’hui, les expertises confirment un manque d’isolation des logements. Mais les diagnostics établis par deux sociétés différentes (SOCOTEC et CSTB) se sont étendus à la structure même des bâtiments. Certains d’entre eux présenteraient « de graves problèmes structurels [auxquels] il n’est pas possible de remédier ».

Les rapports sont pourtant parfois contradictoires et nous sommes surpris de la hâte avec laquelle le gestionnaire Val de Berry a décidé de vouer à la démolition une grande partie de la cité. En s’appuyant sur des expertises précises, tout doit être fait pour sauver ce patrimoine précieux qu’est la cité-jardin de l’Aéroport.

Une capitale européenne de la Culture peut-elle détruire son patrimoine ?

Concluons en citant l’exposé des motifs de la labellisation de la la cité-jardin de Bourges par le ministère de la Culture en 2016 :

La cité-jardin de l’Aéroport constitue un ensemble original d’aménagement communautaire paysager dans la France de l’entre-deux-guerres. En outre, la bonne conservation de cet ensemble urbain, la préservation de l’hétérogénéité typologique de son habitat social et la récente revalorisation de ses espaces verts en renforcent l’intérêt patrimonial. Par ailleurs, la cité-jardin de l’Aéroport, qui eut les honneurs d’une visite du président de la République Albert Lebrun en 1938, témoigne du rôle fondamental joué par l’industrie dans le développement des centres urbains du Berry et de la longue histoire commune de ce territoire avec l’industrie aéronautique française.

La ville de Bourges, cité d’art et d’histoire, désignée comme capitale européenne de la Culture pour 2028, ne peut abandonner un de ses joyaux architecturaux. Pas plus qu’elle n’aurait dû détruire le monastère du Bon-Pasteur ou ne devrait envisager la destruction de l’îlot Cujas-Coursarlon.

François Béchade, sur la base d’un article de François Perrot, architecte honoraire.

Pour signer la pétition de l’amicale des locataires : "Sauvez la Cité-Jardin du quartier Aéroport à Bourges"

France 3 Régions : un reportage en images