La destruction des intérieurs de la maison d’Aguesseau à Limoges : dans une ZPPAUP, c’est possible !

Ill. 1. Intérieur de l’un des salons de la maison d’Aguesseau (détruit), milieu du XIXe siècle. Photo : MT.

Fin novembre 2011 fut annoncé un projet immobilier portant sur la création d’un vaste local commercial aux n° 15 et 17 rue du Consulat à Limoges, pour accueillir une firme de prêt-à-porter ; sa venue devait « redynamiser » commercialement le centre-ville.

Ill. 2. Plaque apposée en 1851
célébrant le lieu de naissance du chancelier d’Aguesseau. Photo : JL

Au n° 15 se dressait au Moyen Age la maison des consuls du Château, qui a donné son nom à la rue. Vendu en 1786, ce premier hôtel de ville fut profondément transformé. Sur l’immeuble, une plaque, apposée en 1851, indique qu’ici est né le chancelier d’Aguesseau ; cette maison comprend surtout de magnifiques éléments de décor intérieur du milieu du XIXe siècle. Bref, si plusieurs parties sont sans intérêt, cet ensemble possède une valeur symbolique et patrimoniale certaine. Il semblait par conséquent impossible que le vandalisme y sévisse, surtout dans une Ville d’Art et d’Histoire. Et pourtant !

Ill. 3. Intérieur de l’un des salons de la maison d’Aguesseau (détruit), milieu du XIXe siècle. Photo : MT.

Le temps des promesses

Le permis de construire autorisait la démolition totale, sauf la façade, pour laisser la place à un vaste local commercial sur deux niveaux. Toutes les boiseries étaient sacrifiées. Cependant, en nota bene final de son avis favorable à la démolition, l’Architecte des Bâtiments de France - dont il faut saluer le professionnalisme - précise : « il est regrettable de voir disparaître tout le décor intérieur de cet immeuble qui restait d’une très grande homogénéité et d’une très grande richesse ».

La marge de manœuvre était en effet réduite car les Zones de Protection du Patrimoine Urbain et Paysager (ZPPAUP), mesure dont bénéficie la ville de Limoges, ne concernent que « l’aspect » des constructions (article L. 642-6 du Code du patrimoine) c’est-à-dire leur enveloppe extérieure. Les ZPPAUP s’apparentent, de ce point de vue, à la protection « de surface » des abords des monuments historiques (article L. 621-31 du Code du patrimoine) mais s’opposent aux Secteurs sauvegardés, dont les Plans de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) protègent « l’état » des immeubles (article L. 313-2 du Code de l’urbanisme) c’est-à-dire également l’intérieur des habitations.

Ill. 5. Cage d’escalier de la maison d’Aguesseau (détruite), XVIIIe siècle (?) et milieu du XIXe siècle. Photo : MT.

La prescription n° 1.1.11 de la ZPPAUP de Limoges prévoit cependant, de manière assez large, que : " Toute demande de démolition d’un immeuble, d’un élément de construction ou d’un ensemble de bâtiments situé en ZPPAUP doit être dûment justifiée :
- dans le cadre d’un projet d’aménagement urbain d’ensemble destiné à la valorisation des secteurs centraux- dans le cadre d’une opération de curetage accompagnée de la mise en valeur du patrimoine,
- dans le but de permettre la réhabilitation cohérente ou harmonieuse d’un bâtiment,
- dans le cas où les expertises ont démontré la nécessité d’une telle démolition."

Le projet ne répondant véritablement à aucun de ces critères, y avait ainsi moyen à agir ou, du moins, à négocier…

Ill. 4. Intérieur de l’un des salons de la maison d’Aguesseau (détruit), milieu du XIXe siècle. Photo : MT.

Renaissance du Vieux Limoges, association adhérente à la SPPEF, a envisagé toutes les hypothèses - dont la plus grave - le recours juridique. Elle a sensibilisé l’opinion par l’intermédiaire des médias locaux : Le Populaire, FR3 Limousin et France Bleu Limousin. Son président, Michel Toulet - aujourd’hui délégué de la SPPEF pour la ville de Limoges - a sollicité des rendez-vous auprès du promoteur, de la Mairie et de madame l’Architecte des Bâtiments de France. Cette dernière a reconnu son impuissance juridique, confirmé son opinion sur l’intérêt patrimonial des boiseries. La Ville, quant à elle, restait impassible.

Le promoteur, quant à lui, mandatait son architecte pour négocier avec l’association. Ayant fait valoir son point de vue, Renaissance du Vieux Limoges reçut, quelques jours plus tard, par courrier de l’architecte, la confirmation du dépôt en mairie d’un permis de construire modificatif : il sera procédé à « la dépose des boiseries caractéristiques de l’appartement du 1er étage au 15 de la rue du Consulat. Ces ouvrages seront stockés à l’abri pendant la durée des travaux, puis reposés ensuite. »

Ill. 6. Façade de la maison d’Aguesseau aux fenêtres désormais aveugles, illustration de la technique de « façadisme ». Les encadrements de fenêtres et la corniche en bois sont des échos du décor intérieur disparu. Photo : JL

Le 12 décembre 2011, une demande de permis de construire modificatif fut ainsi déposée. Celui-ci fut accordé par décision tacite le 12 mars 2012 : le retour des boiseries devint, par conséquent, une obligation juridique. Pourtant, cette obligation n’a pas été respectée. La franchise de prêt-à-porter a ouvert ses portes, le 1er mars 2013, sans que les boiseries aient été réinstallées…

Le retour à la lettre du texte

Devant ce constat, Renaissance du vieux Limoges adressa un courrier au promoteur, informa la Ville et fit connaître son mécontentement dans la presse locale.

Le 18 mars, l’association reçut la réponse suivante du promoteur immobilier :
«  Monsieur, vous m’avez adressé un courrier en date du 10 mars 2013 pour me faire part de votre mécontentement au sujet de la remise en place des éléments décoratifs du premier étage au 15 rue du Consulat. Sans attendre ma réponse, vous avez alerté la presse locale, donnant à cette affaire une tournure polémique. Cela n’est pas très élégant mais vous êtes libres de choisir votre mode d’expression.
Dans ces conditions, je vous rappelle le cadre de cette ’’affaire’’ :
- Les éléments décoratifs en question étaient dans la sphère privée et n’étaient donc pas concernés par le permis de construire.
- Les fameuses boiseries étaient en réalité en plâtre et ne pouvaient ainsi pas être démontées.
- Le choix de démolir l’intérieur du bâtiment nous a été imposé par les bureaux d’étude car le mauvais état de la structure intérieure ne permettait pas de satisfaire aux normes obligatoires pour recevoir du public.  »

Le promoteur arguait ainsi soudainement de la lettre de la loi, les ZPPAUP ne protégeant que « l’aspect » des bâtiments et non la « sphère privée », mais aussi la lettre de sa promesse : déposer des « boiseries », en prétendant que l’ensemble du décor était en stuc. S’ajoutait à cela l’argument habituel de « normes » à respecter.

Après avoir vanté la qualité de la restauration de la façade sur rue et expliqué que «  4 pilastres en bois ont pu être conservés en l’état  », le promoteur, grand prince, terminait : «  Cependant, bien qu’il s’agisse d’une affaire strictement privée, l’intérieur du bâtiment n’étant pas concerné par le permis de construire, je suis prêt à examiner toute proposition que vous pourrez me faire pour installer ces pilastres dans un lieu approprié  »

Mais voici le passage le plus savoureux de la lettre du promoteur, que nous réservons pour la fin : « notre locataire, la société Zara, a mis au point un nouveau concept et nous avons eu la chance que Limoges ait été une des premières villes à bénéficier de ce nouvel aménagement. Les habitants de Limoges ont ainsi pu apprécier d’avoir dans notre ville un magasin au niveau des meilleurs standards mondiaux »…

Ill. 7. Nouvel intérieur de la maison d’Aguesseau. Photo : JL.
8. Michel Toulet, délégué de la SPPEF pour la ville de Limoges, présente les clichés des intérieurs détruits à la presse. Photo : Le Populaire / Thomas Jouhannaud

A l’heure où un projet de loi sur le patrimoine souhaite faire fusionner le régime des espaces urbains protégés sous l’appellation de Cité Historique, il serait opportun de faire bénéficier les ZPPAUP de la protection des intérieurs en Secteurs sauvegardés. Vivre dans un décor de « placoplâtre » n’a rien d’épanouissant : il faut en prémunir les habitations qui le méritent, dans l’intérêt de leurs occupants actuels et futurs.

Michel Toulet, correspondant de la SPPEF pour la ville de Limoges