Communiqué : Sites & Monuments s’inquiète de mesures liberticides prises par le Gouvernement en matière de patrimoine

Scène de chaos et vandalisme à l’Arc de Triomphe le 1er décembre 2018

Par-delà des débordements inacceptables, révélant des failles dans la protection de biens emblématiques de la Nation, et des revendications souvent contradictoires, le mouvement des "gilets jaunes" pointe un dysfonctionnement démocratique inquiétant et montre l’isolement technocratique du pouvoir, trop souvent aveugle faute d’écouter les corps intermédiaires. Le monde associatif, qui se bat pour le patrimoine, n’est pas étonné car, depuis le début du quinquennat, il a encore constaté la réduction de ses marges de manœuvre au profit de divers lobbys, parfois sans aucune transparence.

Notre association, fondée en 1901 et reconnue d’utilité publique en 1936, rejoint en définitive le constat d’un recul démocratique.

Ainsi, le décret du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres (voir ici) s’affranchit de pratiques enracinées dans notre démocratie en supprimant le principe du double degré de juridiction en matière de contentieux éolien (article 23), en portant ces litiges directement devant la cour administrative d’appel (juridictions plus onéreuses que le tribunal administratif). De l’aveu même du Gouvernement, les mesures d’exception prévues par le décret avaient pourtant été rejetées par 95 % des participants à sa consultation publique (lire l’article).

Il est aussi question (consultation publique débutée le 20 novembre), en application de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (article 56), d’expérimenter la participation du public par voie électronique en matière de parcs éoliens, en lieu et place de l’enquête publique habituelle (voir ici), soit un nouveau recul démocratique (lire l’article).

Par ailleurs, la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ÉLAN) (voir ici) prévoit qu’une association ne peut désormais agir en justice contre un projet de démolition ou de construction qu’à la condition d’avoir été déclarée « au moins un an avant » l’annonce de ce projet (article 80)… Cette nouvelle exigence dissuade ainsi de défendre localement l’environnement ou le patrimoine contre de nouveaux périls. Ce baillonnage en règle est assorti d’une mesure d’intimidation, les conditions de reconnaissance des recours « abusifs » étant dans le même temps assouplies (lire l’article).

On peut s’interroger sur la pertinence de ces textes empêchant le règlement par le droit des conflits relatifs à l’utilisation des sols, à une époque ou les Zones à défendre (ZAD) se multiplient... Ces normes, fondées sur des analyses erronées, faute notamment de consultation des acteurs du patrimoine, montrent également une porosité inédite de la loi aux lobbys, ceux de l’éolien et du BTP étant particulièrement avantagés par les mesures ici dénoncées.

Par ailleurs, toujours au mois de novembre, le ministère de la Culture, malgré de nombreuses demandes, a refusé de donner une transparence minimale à ses décisions contrôlant l’exportation des œuvres d’art (marquée par un chiffre record en 2017, voir ici), malgré un avis favorable de la CADA et sa condamnation par le Tribunal administratif de Paris (lire l’article).

Enfin, Sites & Monuments s’inquiète des conséquences du Rapport sur les restitutions d’œuvres d’art africaines, remis le 23 novembre, et de l’exploitation qui en est faite, entre déclamation idéologique et précipitation, alors qu’il s’agit d’une question fondamentale et complexe. Notre association juge les décisions de notre Président de la République immatures dans ce domaine, alors que le ministre de la Culture a rappelé qu’il existe d’autres voies, qu’il faut explorer sans démagogie.

Les pratiques démocratiques les mieux établies ont ainsi été gravement atteintes dans notre domaine - est-ce révélateur ? - alors que le rôle traditionnel des associations dans la défense de l’intérêt général était nié. Le non respect du droit du patrimoine et de l’urbanisme par la ministre de la Culture sortante, maintenue trop longtemps en fonction (voir ici), renforce ce sentiment de malaise.

Le patrimoine demeure, qui plus est, le parent pauvre de la politique culturelle gouvernementale, avec 3% du budget du ministère de la Culture affectés aux travaux des monuments historiques et 0,1% aux acquisitions des musées, alors que 540 millions d’euros seraient dépensés dans des travaux somptuaires au Grand Palais à Paris.

Nous demandons par conséquent, dans notre domaine d’activité, le rétablissement de pratiques conformes à la tradition démocratique française et appelons de nos vœux une réelle politique du patrimoine conjuguant moyens, expertise et écoute.

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