Pour une véritable restauration de la Maison du Peuple de Clichy

La Maison du Peuple est un emblème mondial de l’architecture moderne par ses qualités novatrices[1]. La mobilité de cette architecture industrielle et standardisée est une référence internationale reconnue comme un patrimoine exceptionnel par tous les experts[2]. Cette originalité est à l’origine de son classement en 1983 au titre des monuments historiques : sa remise en mobilité doit être l’objectif premier de sa restauration.

Simulation numérique du fonctionnement des systèmes de mobilité. Paul Baroin, architecte, 2003 (cliquer )

Aussi, est-il irrationnel de poser comme préalable pour la restauration de la Maison du Peuple la programmation d’une reconversion pour de nouveaux usages aux équipements normalisés, les hiatus engendrés entraînant un envol des prix de restauration. C’est ce contresens qui fait que pour sa remise en état, il a été avancé des coûts extraordinaires, entre 25 et 40 millions d’ euros[3]. Quarante millions, en monnaie constante, c’est dix fois le prix du bâtiment en 1939 !

Cette évaluation, avancée par l’architecte en chef des Monuments Historiques Jacques Moulin, est d’autant plus surprenante que les deux tiers des travaux ont déjà été exécutés. Son collègue Hervé Baptiste, ACMH en charge de la dernière restauration de l’édifice (1995-2005), a réglé la question du « clos et du couvert », la thermique et permis la mise aux normes des évacuations d’un établissement recevant du public[4]. Il a presque remis en mobilité le toit ouvrant, mais, faute de moyens, a laissé en suspens le plancher mobile, bloqué depuis 1946 sous une chape de béton. La restauration est incomplète, faute d’avoir pu remettre dans sa splendeur d’origine l’hymne à la mobilité de Marcel Lods et son ingénieur Vladimir Bodiansky (qui a été mon professeur)[5].

Une stratégie progressive de remise en marche des éléments mobiles de l’édifice, cloisons, plancher et toit est nécessaire pour donner son sens à un édifice modeste dans ses dimensions (2000 m2 de planchers), simple dans sa mise en œuvre, mais essentiel pour transmettre l’histoire de ce prototype unique dans l’histoire de l’architecture.

Je me suis basé sur des restaurations de matériel ferroviaire car, au regard de ceux-ci, la Maison du Peuple présente des mécaniques rudimentaires : roulements droits pour les planchers et le toit, soulèvement vertical à contrepoids pour le placard à plancher, rotation à l’équilibre pour les gardes corps relevables, roulements à suspente pour les éléments de paroi coulissante. C’est simplissime, si l’on compare cela aux mobilités « savantes » mises en oeuvre à la Fondation LVMH de Frank Gehry par exemple.

Cette restauration relève des techniques d’entretien/réparation utilisées dans les musées ferroviaires par les associations des amis du rail, qui dégrippent et réparent des wagons et locomotives classés monument historique avec des budgets qui n’ont rien à voir avec les estimations avancées pour la Maison du Peuple. Les grands éléments de plancher de 5 m de large par 20 m de portée sont comparables à de grands wagons de marchandises plats, mais avec des roulements droits, et sont beaucoup plus sommaires que des boggies pivotantes à amortisseurs [6]. S’il y avait des renforts de structures à effectuer, on pourrait employer la technique utilisée pour la réparation des ponts consistant à coller des plaques de fibre de carbone sous les éléments à la traction.

Pourquoi ces devis exorbitants pour 1000 m2 de plancher à l’étage, 1000 m2 de toiture, un sol de rez-de-chaussée de 1000 m2 ne nécessitant pas d’attention particulière. C’est, on le constate, un petit bâtiment d’un étage sur lequel les évacuations de sécurité incendie sont déjà présentes, très bien dimensionnées dès l’origine.

Maquette mobile au 1/33e - Réalisation Atelier Pras, conception scientifique et suivi Sylvain Le Stum architecte pour la Cité de l’Architecture et du Patrimoine (2001-2004) (cliquer , dernière vidéo)

Les devis à 25 millions à 40 millions d’euros résultent de cumuls de réponses à des réglementations qui n’ont pas été analysées et de ratios qui semblent faits à partir des machines inopérantes du Théâtre de Chaillot... et beaucoup de préjugés contre les « tas de ferraille », ces mêmes termes avec lesquels on avait qualifié l’architecture métallique du XIXe siècle il y a quarante ans[7].

Que faire aujourd’hui pour restaurer cette mobilité et à quel prix ? Le toit ouvrant, doté d’une motorisation, a fonctionné à nouveau puis s’est bloqué. La paroi coulissante est grippée. Les huit éléments roulants du plancher sont recouverts d’une chape de béton d’une épaisseur de 5 à 10 cm. Enfin, le placard à plancher possède toujours ses mécaniques latérales visibles de part et d’autre de la scène. L’objectif de l’estimation est de redonner vie à ses trois mécaniques, afin de remettre en marche les trois éléments mobiles de la mythique « Maison du Peuple », sans a priori d’usage.

La première phase du diagnostic consiste à évaluer par sondages les huit éléments de plancher, de tester les roulements des supports, d’évaluer les placards à plancher[8], la portance des poutres sur les garde-corps basculants et la statique des portiques porteurs, soit 40 000 euros.

Une pré-estimation pour la remise en état de la machinerie comprendrait le décapage de la chape béton du plancher, la remise en jeu des huit éléments de plancher avec roulements et garde-corps relevables avec motorisation, la remise en jeu de la mécanique du placard à plancher avec sa motorisation, la remise en jeu des parois coulissantes du premier étage, la remise en jeu du toit ouvrant avec sa motorisation et la sécurisation du chantier avec présentation sécurisée au public, y compris les honoraires[9], soit 1 520 000 euros

Cette première mise de fonds de 1 à 2 millions d’euros permettrait ainsi de redonner au bâtiment tout son sens et probablement de trouver des investisseurs bien intentionnés.

Une seconde pré-estimation, comprise comme tranche conditionnelle, comprendrait une mise à niveau complète pour l’électricité, la performance thermique, le chauffage, la ventilation, les sols et les plafonds sur l’ensemble des 2000 m2 du bâtiment, soit entre 2 et 6 millions d’euros. 

C’est seulement à ce stade que viendraient les investissements spécifiques d’usages qu’il est prématuré d’évaluer aujourd’hui. En conclusion, avec une contribution modeste de 1 à 2 millions d’euros, on peut redonner dans un premier temps tout son sens à la Maison du Peuple de Clichy, avec un fonctionnement de tous ses mécanismes et, parallèlement, inventer de nouveaux usages respectueux de ce patrimoine exceptionnel du XXe siècle, notamment pour les habitants de Clichy et du Grand Paris.

Bernard PAURD, Architecte d.p.l.g., maître assistant honoraire des écoles d’architecture, mention Equerre d’Argent

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[1] Bernard Toulier, « La Maison du Peuple à Clichy : premier exemple de mur rideau en panneaux préfabriqués. Restituer une machine architecturale aux multiples usages », Architecture et patrimoine du XXe siècle en France, Editions du Patrimoine, 1999, p. 284-287. Bernard Toulier, « La Maison du Peuple : un monument historique bafoué », Sites et Monuments, avril 2018, https://www.sppef.fr/2018/04/16/la-maison-du-peuple-de-clichy-un-monument-historique-bafoue/ Voir aussi Caroline Bauer et Marjorie Occelli, avec la collaboration de Bernard Toulier, Maison du Peuple de Clichy Fiche DOCOMOMO, avril 2018 https://www.docomomo.fr/batiment/maison-du-peuple-de-clichy

[2] https://www.docomomo.fr/actualite/les-signataires-de-la-lettre-ouverte-de-docomomo-france-pour-la-sauvegarde-de-la-maison, septembre 2018.

[3] 35 M euros c’est le prix d’un TGV : le prix de deux ou trois rames neuves de voyageurs de 130 m. de long y compris leurs motricités dernier cri (13M€ la rame).

[4] Hervé Baptiste, « La Maison du Peuple à Clichy, Hauts-de-Seine », in Monumental, n° 2, mars 1993, p. 68-77. Franz Graf, « La restauration de la Maison du Peuple à Clichy : un point de vue critique », dans Id., Histoire matérielle du bâti et projet de sauvegarde, Lausanne, Presses Polytechniques et universitaires romanes, 2014 (1ère parution en anglais en 2008), p. 347-359. Leila Beloucif, « Maison du Peuple, Clichy ». Cité de l’architecture et du patrimoine, Marcel Lods. Visions croisées sur l’homme et l’œuvre.2015 https://expositions-virtuelles.citedelarchitecture.fr/expo_marcel_lods/03-PROJET-04-02.html

[5] Cet architecte aura fait ce qui était possible avec les bureaux d’étude dominants à cette période. Aujourd’hui, on pourrait envisager des solutions moins lourdes, plus respectueuses du travail de Jean Prouvé et moins chères. Le double vitrage avec une face stadip et une face imprimée a amené, en doublant le poids de la paroi, à l’emploi de renforts de structure. Conserver les vitrages armés serait possible en employant du film de survitrage thermo-rétractable à poids et prix presque nul et à masse combustible très faible, les vitres armées remplaçant le stadip, éclatant en cas de feu en conservant leur aspect garde-corps, le toit ouvrant étant le plus grand désenfumage possible.

[6] Pour la Maison du Peuple, la portée d’un élément de plancher et de ses roulements (dans ce dernier cas moins sophistiqués) est comparable à un wagon plat type porte-char de 20 m. de portée pouvant supporter de 30 à 40 t. Le poids d’un élément de plancher, 20 m. par 30 m. est estimé entre 15 et 30 t.

[7] Jacques Moulin, « Il faut envoyer la Maison du Peuple à la ferraille ». Tribune du journal Le Monde, 16 avril 2019, https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/04/16/il-faut-envoyer-la-maison-du-peuple-a-la-ferraille_5450730_3232.html

[8] Pour l’évaluation de tous les mécanismes, voir les animations de Paul Baroin réalisées en 2003. Voir aussi la maquette mobile de Sylvain Le Stum conçu en 2001-2004 pour la Cité de l’architecture et du patrimoine http://sylvainlestumarchitecte.blogspot.com/2010/11/larchitecture-le-patrimoine-et.html 

[9] Prix H.T., avec marge d’erreur de plus ou moins 30%.